Il y a bien longtemps que cette course de Racing the Planet me tente. Mais le Chili, c’est si loin de chez moi… Enfin, ça y est, je me suis décidée.
Le désert d’Atacama se situe dans le nord du Chili, haut plateau à une altitude de 2500m, au pied de l’altiplano de la cordillère des Andes lui-même à 4500m, et où les sommets culminent à plus de 6000m. Ce sont principalement des volcans. Tout pour me plaire. C’est un des déserts les plus secs du monde, près du tropique du Capricorne.
Le principe de Racing the Planet est immuable : 250 km à parcourir en 6 étapes sur 7 jours, à peu près 4 fois 40km, 80km et 10km, en autonomie. L’organisation fournit la tente, l’eau chaude et l’eau froide. Exceptionnellement cette fois, nous aurons du thé à notre disposition pour leurs 20 ans. Quel cadeau pour alléger mon sac !
Je pars au Chili 2 semaines avant la course, en septembre 2023. Ce pays étant tout en longueur, je me cantonne à la partie nord, où je séjourne plusieurs fois à 4500m, ce qui me permet une bonne acclimatation à l’altitude.
Je rejoins le groupe de la course à l’oasis de San Pedro de Atacama, petite ville touristique du coin avec ses maisons en briques de terre, située à 2500m. Au fond, à une trentaine de km vers l’est, se dresse la chaîne de la cordillère des Andes avec le majestueux volcan enneigé Licancabur, et ses 5916m d’altitude.
J’y profite d’un jour de libre avant la course pour aller me promener à pied vers les gorges du Diable, me donnant un aperçu de ce qui m’attend dans 2 jours. Une fois sortie de la ville verdoyante où je traverse le rio de San Pédro, tout est très sec. La terre est d’un magnifique grès alezan. Je remonte le lit de la rivière, bordé de petites montagnes toutes plissées, puis je pénètre dans un très étroit canyon sec, avant de grimper sur un petit sommet. J’embrasse une très belle vue sur ces montagnettes environnantes, jusqu’au Licancabur. Quel paysage unique ! On m’avait dit que ce serait beau, et c’est beau !
Il fait très chaud la journée, et la piscine de l’hôtel est bien tentante. Pourtant il n’y a personne dans l’eau, ou du moins que moi. C’est qu’elle bigrement froide !
Je partage ma chambre d’hôtel avec Yui, qui vint du Japon. Malheureusement elle ne parle pas anglais, je ne pourrai pas découvrir beaucoup sa culture.
Je prépare mon sac définitif pour la course, avec une liste de matériel obligatoire conséquente, comprenant entre-autre 14000 kcal obligatoires de ravitaillement. Mes repas, minutieusement calculés et pesés, ne seront guère variés : purée déshydratée ou semoule, agrémentées de poudre d’amandes, de soupe déshydratée et de spiruline, soit féculents, lipides, légumes et protéines. Pour optimiser le poids je n’emmène pas de grignotage.
Nous devons porter un sac de couchage, que je prends léger, et nous avons droit à un sac de secours avec un couchage chaud, que nous ne portons pas. J’y mets le sac népalais -15° de mon frère, car la nuit, ça caille.
Je vais courir en collant et manches longues et la tête à l’abri d’une casquette saharienne pour me protéger du soleil ardent de la journée. Sur mes chaussures sont cousues de grandes guêtres pour éviter tout contact de mes petons avec le sable, qui ne demande qu’à pénétrer partout.
Le lendemain matin est consacré au briefing et au contrôle des sacs. Nous sommes 110 coureurs, venant de 40 nations. S’il y a beaucoup de néophytes, il y aussi des coureurs dont c’est la 9° participation ! Quand je pense que j’aime changer de destination… Nous ne sommes que 2 Françaises, Joelle qui vit à Hong-Kong et moi, de la Réunion.
Nous sommes maintenant en tenue de course, n’ayant plus accès à nos sacs personnels. Puis c’est le départ en bus vers le camp 1, au nord de San Pédro. Le trajet s’élève progressivement dans la montagne jusqu’à 3300m d’altitude. Nous croisons quelques vigognes qui broutent la végétation rase d’altitude.
Je découvre le campement, entouré de petits sommets déchiquetés, tout brun. C’est magnifique. Mais il va faire frais ce soir !
Je fais connaissance avec mes compagnes de tente : Joelle, les Anglaises Lynne, avec qui j’étais en Géorgie, et Abbey, Fien la Belge et Erna la Néerlandaise. Je me cale dans un coin, pour éviter d’enjamber tout le monde en permanence, mais j’aurai plus froid.
La 1° étape est courte, 35km, et va nous faire descendre 800m de dénivelé dans la vallée de l’Arc-en-ciel. Et c’est parti ! Tout de suite je me retrouve avec de l’eau sur les pieds. Très étrange. L’emboût de ma poche à eau toute neuve fuit. Je cogite la meilleure attache pour résoudre le problème. Ce sera sur le cou, ce qui n’est pas très pratique pour boire, mais je ne perdrai pas d’eau.
Le sac est au plus lourd de la course, 6,5kg sans la boisson. Heureusement je suis un vrai chameau et je n’en ai pas besoin de beaucoup, en plus nous pouvons nous ravitailler aux CP tous les 10km.
Ca part en descente dans les cailloux, puis sur un sentier en encorbellement avant de s’engager dans un beau canyon étroit. Je suis à mon aise. Je me retrouve avec Magdalena, Allemande, et Kabuki Anglaise, que je dépasse rapidement. Et me voilà tout de suite en tête des féminines.
Il fait rapidement chaud, mais cela reste supportable avec l’altitude et l’ombre des parois de la vallée.
Sur le trajet je croise un petit lézard, et moins ravissant, le cadavre d’un âne. Il doit bien se conserver avec ce climat très sec. Puis au détour d’un encaissement, un condor me survole furtivement. Quelle envergure impressionnante ! C’est le plus grand rapace au monde.
Le paysage s’élargit au sein des montagnes Domeyko, belles formations aux couleurs multiples, et je caracole toujours dans la descente qui est maintenant régulière et roulante, tout en évitant de gros cactus tout rond, genre coussin de belle-mère géant. Je vois par intermittence quelques gars devant en fonction du relief. Et soudain au niveau du CP3 au pied d’une montagne, ils disparaissent. Ils sont partis par où ? Ah je comprends, angle droit sur la gauche sur une large piste de 4x4. Mais c’est que ça monte maintenant !
La piste serpente vers un col. Je suis en 1° posture et je ne sais pas du tout où sont les autres derrière, donc je continue de courir dans la pente. Le col a l’air de se situer après le virage en vue, mais non, il y en a toujours un nouveau. C’est dur dans les jambes avec le sac lourd, mais ça vaut le coup.
Tiens, les parois qui bordent le chemin sont décorées de pétroglyphes par ici. Ils sont Incas et Aymaras, l’ethnie locale. C’est trop beau. Les plus vieux datent de 1500 ans avant JC, mais je ne sais pas de quelle époque sont ceux-ci. Dommage que je n’aie pas le temps d’en profiter. En fait je suis sur une ancienne route inca commerciale.
J’arrive enfin au col après 7 km de montée. Davide l’Italien m’y rattrape. On quitte la piste dans des grosses pierres pour une courte descente sur le camp. Mon arrivée est soulignée par les battements du gros tambour.
Les quelques coureurs déjà là sont affalés à l’ombre d’un barnum car il est 13h et il fait chaud. La chaleur ne me gêne pas. Je suis 8° au scratch, je n’en reviens pas. Kabuki surgit 15 mn plus tard, suivie rapidement de Magdalena, et d’une autre Allemande Tanja.
Je m’installe donc la première dans ma tente, et j’ai tout l’après-midi pour farniente, ce qui est très agréable. Après avoir mangé, une petite sieste s’annonce, en petite tenue, short et brassière, en ouvrant la tente en fonction de la direction du soleil pour ne pas y cuire. Dehors je ne reste pas au soleil brûlant.
Le camp se remplit au fur et à mesure, le tambour rythmant les arrivées. Joëlle apparaît dans la tente. Il faudra attendre les autres filles plus longtemps. La dernière sera Fien. Elle semble vraiment épuisée. Les premières ampoules apparaissent, et les premiers frottements du sac sur les peaux. Pas pour moi en tout cas, j’y échappe.
Le froid arrive d’un coup à la tombée de la nuit. Je passe du déshabillé à la tenue en Mérinos, chaude et légère. Merci Siloe ! Je n’aurai pas froid du tout de la semaine.
Outre le thé bien chaud, nous avons le droit à un feu le soir. Avec Joëlle et son mari Yunès, nous sommes parmi les derniers à nous restaurer. Tous les autres sont couchés à 19h, un peu tôt pour moi.
Je dors très bien dans ma tente pleine à craquer, qui reste bien calme, à part mon matelas gonflable qui couine quand je bouge, et je bouge beaucoup.
Je suis une des dernières à me lever le lendemain matin. Je suis vite prête, et je n’aime pas spécialement poirauter dans le noir et le froid. Il fait jour vers 7h. Mon petit déjeuner de purée ne demande pas de temps de préparation.
Dès que le soleil arrive sur le camp, la température se réchauffe très vite et il fait bon pour le départ à 8h. Lors du briefing matinal du jour, je reçois un nouveau dossard jaune fluo à porter : LEADER !
La 2° étape fait 37 km. On redescend l’autre côté du col sur 5 km de piste vers la rivière Salado. Puis succède un sentier serpentant dans le canyon très resserré du cours d’eau. Du coup on est à l’ombre, ce qui est appréciable. Le terrain me convient parfaitement, pierreux à souhait. Je traverse le torrent un nombre certain de fois, avec de l’eau jusqu’à mi-cuisse au maximum. C’est frais et cela fait du bien aux muscles. Je m’amuse beaucoup dans cette partie et je double pas mal de messieurs, Magdalena et Kabuki étant larguées dès le début du sentier.
Ce canyon est magnifique, tout en teintes ocres verticales. Il finit par s’élargir à partir du CP1, et je rejoins la vallée de Catarpe, celle où je me suis promenée avant la course. Je passe à côté de la belle petite église de San Isidro, complètement isolée dans sa blancheur. Puis j’oblique vers l’ouest et quitte définitivement la rivière, puisque ça monte sec par une belle piste qui me mène à un tunnel, juste après le CP2.
De l’autre côté de la montagne, ô surprise, je domine la vallée de la Mort. C’est magnifique, tous ses petits pics très plissés sont vraiment étonnants. Si mes yeux admirent le bas, mes jambes tricotent vers le haut. Je suis maintenant sur un vrai sentier de cabri, très raide dans les pierres. J’y double allègrement 2 gars. La crête est vite atteinte. J’y croise avec surprise 2 français qui font une pause en VTT. Ils ont dû bien porter leur monture pour arriver là !
Le sentier continue de monter en pente beaucoup plus douce et plus facile vers le sommet, le long de la crête surplombant maintenant la vallée de San Pedro. Les cyclistes en profitent pour me doubler, avec des encouragements mutuels. Le point culminant m’amène en haut d’une grande dune, fort surprenante au milieu de toute cette rocaille. Elle vient s’appuyer contre la paroi de la montagne. Les couleurs passent du brun au jaune.
Je dévale la pente toute molle. Il suffit de se laisser porter par le sable qui glisse sur les longues foulées, c’est un vrai bonheur, même s’il est éphémère. En bas je rejoins le CP 2.
Je suis maintenant sur un sentier plat qui serpente de nouveau dans un canyon, mais sec cette fois, et pas très long. Il débouche sur la vallée de San Pédro. Je traverse la grand-route par un tunnel dessous. Puis c’est la dernière section, sableuse à souhait, avec des petites plantes qu’il faut contourner car certaines ont de bonnes épines, et de temps en temps des dunettes à franchir qui coupent l’élan de la course. Il fait chaud, mais ça sent la fin de l’étape. La flore est unique au monde, très adaptée tout à la fois à l’altitude, au climat très sec, très chaud en journée et froid la nuit.
Pourtant je ne vois pas le camp ni n’entends le tambour. Patience, cela viendra, continuons tranquillement notre cheminement trottinant. J’arrive à une dune certes fort modeste mais un peu plus haute que les précédentes, et dans le creux derrière je trouve un bénévole et le battement du tambour retentit. L’arrivée est juste derrière.
Je suis la 1° fille, pour 6 h de course. Magdalena arrive derrière, suivie de Kabuki.
J’ai de nouveau un après-midi de repos, avec la tente pour moi toute seule en attendant les autres. Nous sommes maintenant à 2500m d’altitude, et nous y resterons jusqu’à la fin, il va faire un peu moins froid la nuit. La vue sur le volcan Licancabur est magnifique, avec sa forme parfaite de cône et son chapeau enneigé, alors que j’ai les pieds dans le sable.
La 3° étape fait 40 km, un peu plus longue que les précédentes mais techniquement plus facile. Je devrais logiquement laisser ma place de leader aux marathoniennes, plus rapides sur terrain plat.
C’est parti plein sud sur un terrain à peu près aplani, sur fond sableux et zigzaguant entre les touffes de plantes piquantes qu’il vaut mieux éviter. Mon collant et mes chaussures de trail me protègent bien. Une grande et solide épine arrive tout de même à traverser la semelle. Je musarde avec le très sympathique groupetto des 3 Taïwanais. Magdalena est partie devant rapidement, Kabuki reste derrière. Je suis aussi doublée par une moto de trail, c’est Dan qui assure notre sécurité sur les parties hors piste.
Le CP 1 est sous l’unique arbre du coin, immanquable, connu comme étant le dernier vers le sud du désert. Puis je me rapproche du pied des montagnes de la cordillère des Andes vers l’est, d’abord sur une large piste qui traverse la route à l’aide de la maréchaussée locale, puis par une montée régulière, droit vers les volcans et vers l’observatoire astronomique de l’ALMA à Llano de Chajnantor, le plus haut du monde.
Son emplacement a été choisi pour le ciel sec et pur. Les installations toutes blanches du site se détachent parfaitement sur le fond brun et aride de la montagne. Je croyais naïvement que nous allions passer devant. Or elles sont à 5000m d’altitude, soit 2500m au-dessus de ma tête, et paraissent pourtant proches. Elles doivent être énormes. Ca fait long le détour. J’ai une pensée pour mon cousin féru d’astronomie depuis toujours.
Je passe le CP3, je laisse l’observatoire sur ma gauche et je poursuis ma progression plein sud en hors-piste, parallèle à la majestueuse chaîne de montagnes des Andes, uniquement guidée par les petits drapeaux roses. Je retrouve les Taïwanais qui commencent à fatiguer, il n’y a plus que Kevin de vaillant. Le terrain est toujours vallonné, tantôt sableux, tantôt rocailleux, tantôt boueux. La boue est très sèche et présente une surface très irrégulière comme un tas de petites ornières. Tout cela demande de l’attention et de l’énergie pour continuer à courir, ce dont je ne manque pas.
Je croise quelques creux bien prononcés, puis une courte descente vers un canyon encaissé au fond duquel coule une petite rivière. Tout de suite, je suis dans la verdure. Cela ne dure pas car je remonte sur la berge opposée.
Pour finir je me retrouve dans le sable avec quelques dunettes, jusqu’à longer une toute petite oasis bordée d’une dune plus conséquente. Bonne descente très raide suivie d’une bonne montée tout aussi raide, et l’arrivée est au sommet, avec le volcan Lascar en toile de fond qui nous domine de ses 5600m d’altitude.
Il est 15h, je suis 2° féminine derrière Magdalena. Je lui abandonne mon beau dossard jaune de leader. Et ô, belle surprise, nous avons accès à un bassin de baignade dans l’oasis privée de Zapar. Il faut juste refranchir la dernière dune dans l’autre sens. Après la purée rapidement engloutie, je pousse le portail de la plantation de vigne pour un plouf fort apprécié. Oui oui, on fait du vin en plein désert à 2500m d’altitude, et les petites grappes de raisin de l’hémisphère sud sont déjà formées en septembre. Je me baigne tout habillée, ce qui permet un rinçage complet de moi-même et de ma tenue de course, qui sera sèche en un rien de temps après. Beaucoup de coureurs n’auront pas le courage de se retaper la dune aller-retour ou arriveront trop tard pour ce rafraichissement bienfaisant.
Le soir les échanges avec les autres coureurs et les bénévoles sont toujours enrichissants. Il y a les joyeux Taïwanais Kevin, Macca et David, Louisa l’Australienne qui aime courir la nuit pour voir les marsupiaux, Eyal l’Israélien avec son petit livre de prières en hébreu, Dolores l’Argentine toute menue et pétillante. D’ailleurs elle penche fort sur le côté, certainement dû à un déplacement du bassin, ce qui arrive fréquemment sur les efforts longs. Il y a aussi Anka l’Allemande qui tient le bar à thé dans la bonne humeur. Et tous les autres bien sûr.
Place maintenant à la 4°étape de 44km. On nous a promis de la chaleur.
Après une petite partie ascendante très rocailleuse, la descente s’amorce vers la vallée de Jerez, canyon verdoyant enserré dans de hautes parois rocheuses, la route et le village de Toconao aux maisons en pierre blanche volcanique, qui a l’air assez pauvre, pour trouver le CP1.
Une fois la tranquille localité traversée, je prends un cap plein ouest pour visiter le plateau d’Atacama de part en part, vers la cordillère de Domeyko et tournant le dos aux grands volcans. Je me dirige vers un peu de verdure après une plaine saline, la forêt de Tambillo composée de tamarugos, grands arbres appréciés des chèvres.
Je découvre le fameux Salar de l’Atacama, un immense marais salant composé de dépôt salin très riche en sulfate et chlorure de potassium, ainsi qu’en lithium. Un peu de géologie s’impose. Ces minéraux proviennent de la dissolution par les eaux des précipitations sur le sol volcanique de la chaîne andine toute proche. Ces dernières s'infiltrent et s'accumulent dans le sol, se chargeant de sels. Puis ces eaux souterraines affleurent dans la dépression d’Atacama. Elles s'évaporent avec la chaleur très sèche du coin et les sels apportés s'accumulent, formant une croûte solide, qui est cimentée par les poussières amenées par le vent du désert. Sous la surface se trouve un lac salin, caché par la croûte solide de sel. Sa traversée s’avère prometteuse.
En effet, je rentre dans le vif du sujet qui commence par un changement de degré de forme et d’aspect du terrain, qui perd sa teinte grise et devient insensiblement blanc. La terre se boursoufle et forme d’innombrables petits monticules semblables à des cônes entourés de fentes de dessication. Ils se groupent quelquefois les uns par-dessus les autres et ressemblent à de grosses poires, de toutes tailles. Le résultat se traduit par une succession de surfaces de boue argileuse molle, dure ou croustillante sous le pas, au choix. Ou plutôt, on n’a pas le choix. Bref, Il n’y a pas de trace de sentier, seuls les petits drapeaux roses marquent la direction. C’est très ardu d’y courir, néanmoins j’aime cette difficulté, même si je ne vais pas vite. Les bâtons de Kabuki ne l’aident pas du tout et elle peine derrière moi.
Au CP2, grande surprise, des chevaux sont attachés à la tente. Eh oui, aucun autre moyen de transport ne permet d’y amener le ravitaillement en eau, et les bénévoles et notre médecin Dr Lisa sont d’éminents cavaliers. Les 4x4 et la moto sont hors course dans cette zone.
Le sel a fait son apparition, immensément blanc, en croûte disloquée en surface. Ca craque sous les semelles. Chaque pas est imprévisible, je m’enfonce à chaque fois de manière différente sur les picots de boue. Il faut une bonne proprioception ! Et c’est très énergivore. Mais c’est unique ! Certains passages sont carrément en plaques de sel. Il est 11h, et je ressens la chaleur de la réverbération du soleil sur cette blancheur immaculée jusque sur mon visage, seule partie non couverte de mon épiderme. Les lunettes de soleil sont obligatoires. Malgré ces conditions brûlantes, je ne souffre pas de la chaleur sous ma grande casquette et la présence d’une très légère brise. Je ne sais pas comment font les coureurs qui sont en short et en manches courtes.
Je sens bien qu’il y a de l’eau en-dessous, mes chaussures l’atteignent parfois en s’enfonçant. Je ne suis pas lourde et reste suffisamment en surface pour ne pas me mouiller les pieds, ce qui est appréciable car l’eau salée est très créatrice d’ampoules, et je n’en ai pas présentement. Je dois même traverser quelques écoulements en sautant.
Tout ayant une fin à qui sait être patient, ma foulée me sort de cette peine et m’amène au CP3 sur une belle piste paradisiaque. Elle longe les 2 petits lacs parfaitement ronds des Yeux du marais salant, d’un bleu profond sur fond blanc, formé par une chute de météorite. Puis je serpente jusqu’à une piste privée qui se termine au camp. Ce fut une magnifique et dure étape de 8h. Je suis 3° cette fois, derrière Magdalena et Tanja qui fait une belle remontée, et Kabuki me talonne. Nous sommes toutes les 4 dans un mouchoir de poche.
Yunès me fait la surprise d’arriver peu après, pour une fois avant sa femme Joëlle. Il est avec tout un groupe qui débarque… en voiture. En effet, Dr Lisa a pris la température au niveau du sol au CP2 à 13h, en pleine journée. Elle atteignait 54°C, et elle a fait neutraliser les coureurs qui restaient à passer, par mesure de sécurité. Ils ont le droit de continuer la course, et seront en tout cas plus frais pour demain, qui est la longue distance.
Le Camp est dressé près du lac Tebinquinche, peuplé d’oiseaux et entre-autre de flamants roses. 3 espèces y sont présentes sur 6 au monde : le flamant des Andes, le flamant du Chili et le flamant de James. Les lagunes sont riches en vie microscopique et en crustacés, nourriture favorite des flamants. On y trouve aussi des « pierres vivantes » qui affleurent à la surface, stromatolites composés de carbonates de calcium et de sulfate de calcium, dans lesquelles vivent des bactéries. Elles seraient à l’origine de la vie sur la terre. Ce n’est pas tout, les diatomées s’y plaisent beaucoup aussi, algues unicellulaires microscopiques. Quelques plantes halophytes et des graminées salées complètent le tableau. Bref, c’est un milieu de biodiversité très rare.
Le soir je découvre que le meneur masculin, Scott le Néo-zélandais, est en fait un coureur de trail professionnel. Il est largement en tête du classement. Néanmoins c’est la première fois qu’il fait une course à étapes. Il est très sympa. Il a fait quelques erreurs de matériel par méconnaisse et trimballe des crocs, encombrants et pas vraiment légers. C’est comique.
La tension est palpable dans la tente pour celles dont c’est la première fois qu’elles vont courir 72 km le lendemain, épreuve nommée la longue marche. Mon seul problème est mes lunettes. Autant pour celles de vue que celles de soleil, les verres se sont beaucoup dégradés ces derniers temps et je vois de moins en moins bien, surtout la nuit. Or la nuit tombe vers 19h et je vais terminer de nuit, c’est sûr.
Le départ de la 5° étape est donné, direction plein nord, au pied des petites montagnes de la cordillère de Sel, petites à côté des majestueux volcans de l’autre côté du plateau. Le premier ravitaillement est à 14km, ce qui est long.
Au début ce n’est que de la piste très roulante autour du lac Tebinquinche que je peux admirer à loisir. Si mon sac s’est bien allégé avec la nourriture engloutie, il en est de même de celui des autres. Aussi ceux qui avaient un bagage plus lourd que le mien sont bien moins gênés maintenant et sont plus véloces, surtout les coureurs de marathon, contrairement à moi qui ne cours pas vite sur le plat, quel que soit le poids à porter, qui reste conséquent de toute manière.
Puis je retrouve rapidement les poires de boue sèche sans chemin tracé, comme je les ai tant appréciées la veille. Je suis une des rares à réussir à y courir. Le CP1 me réconcilie avec la piste. Peu après je retrouve l’arbre isolé que j’ai déjà passé à l’étape 3, dans l’autre sens, sans vraiment le reconnaître. Vous vous souvenez ?
Au CP2, j’oblique plein ouest pour une belle boucle vers les reliefs de la vallée de la Lune. La piste reste plate au milieu de petites dunes. Au CP3 le bénévole me tend un coca, pensant me faire plaisir. Mais non, je n’en bois pas. Il est plus dépité que moi. Cela devient du hors-piste d’abord pierreux puis de plus en plus sablonneux. Je me dirige droit vers une énorme dune rubigineuse, une beauté. Il va falloir la gravir. Il y a peu de traces des précédents passages et elles montent tout droit. C’est trop raide et je m’enfonce à gogo dans ce sable. Je préfère une trajectoire oblique, un peu plus longue mais bien plus facile. D’ailleurs les quelques coureurs qui me suivent adoptent ma stratégie.
Au sommet, à ma grande surprise, je suis sur un plateau bordé de pics. C’est magnifique. Au bout je trouve une descente dunale. Là, j’y vais tout droit ! Et de bon cœur ! Le CP4 est juste en bas.
J’y retrouve Kabuki. Elle a les pieds à l’air et est en pleine crise de larmes, le médecin présent lui promettant de la charcuter. De mon côté je fais une pause ravito, mon seul repas prévu du jour. 2 biscuits protéinés pour dénutris me suffisent pour les 30 km restants et je repars en forme.
Kabuki semble avoir repris du poil de la bête et elle me double un peu plus loin dans une traversée entre de petits monts qui me mène vers le nord à une vallée encaissée entre 2 chaînes montagneuses, et qui finit par déboucher sur une piste. Je passe une antenne de communication, puis une montée. Je pénètre maintenant au centre de la vallée de la Lune. Tout est minéral, dans toute la palette des teintes brunes. Les pics plissés et très érodés par le vent m’entourent. C’est très beau. Je continue de trotter à mon rythme. J’admire tellement le paysage que je suis d’un œil distrait les traces de pas, et soudain je me rends compte qu’il n’y a plus de petits drapeaux roses. Vite, vite, demi-tour. Je les retrouve non loin, j’ai loupé un virage à droite qui quitte la piste. Je dois être dans un coin touristique avec toutes ces empreintes.
J’arrive au CP6 où on me demande d’allumer ma lampe. C’est pourtant encore un peu tôt, il n’est que 18h30 et on voit encore très bien. Je ne suis pas pressée de me taper la nuit. Je m’enfonce maintenant dans la « petite vallée ». Je passe devant une carcasse de bus, je me demande bien ce qu’elle fait là mais elle a l’air réputée. En tout cas je trouve ça bien dommage.
La pleine lune apparaît devant moi avec le volcan Licancabur en toile de fond dans la demi-pénombre, c’est magique. Je termine la boucle plein est.
Je trouve le 4x4 d’un bénévole dans une petite montée qui vire à droite toute. Il me dit que je n’ai plus qu’à suivre cette piste qui va m’amener tout droit à l’arrivée. Il fait nuit désormais, et me voilà dans la descente. Et je ne vois pas les drapeaux roses le long de la piste. Catastrophe. Je remonte jusqu’à les retrouver, et de nouveau ils disparaissent lorsque je redescends. Un 4x4 providentiel arrive, qui va pouvoir m’aider j’espère. C’est le staff chilien qui transporte du matériel et ils ne connaissent pas le parcours. Ils sont très gentils et cherchent pour moi à pied les drapeaux. Ils les dégotent sur un tout petit sentier sur la gauche que je n’avais pas du tout repéré. Muchas gracias les gars !
Mais je ne suis pas sortie de l’auberge car comme je le pressentais, je n’y vois goutte avec mes lunettes altérées. Je distingue dans le faisceau lumineux de ma lampe la phosphorescence des drapeaux à 3m, pas plus. Pour l’instant je suis à flanc de montagne dans les cailloux et je m’en sors assez bien. Mais voilà que j’atteins une dune à descendre et je ne sais pas dans quelle direction la prendre. Je vais au pif jusqu’à entrevoir le point rose suivant, c’est épuisant, et ça tourne à droite toute. Je longe le pied de la montagne et je rejoins enfin la piste. En fait si je ne m’étais pas posé la question des drapeaux disparus, j’aurais continué tranquillement sur cette même piste.
La descente continue, je ne distingue toujours pas les drapeaux mais cette fois je sais que je suis sur le bon bout. D’ailleurs Macca le Taïwanais et Hannah l’Anglaise me doublent. Eux ils voient très bien me disent-ils. Je n’ai plus qu’à les suivre et ils me montrent là où il faut quitter la piste pour rejoindre l’arrivée et le tambour. Quelle galère ces 5 derniers km ! Je suis bien contente d’en finir avec cette courte partie de nuit, bien trop longue pour moi. Je n’ai malheureusement pas pu profiter de la pleine lune.
Il est 20h, ce qui me fait 12h de course. Du coup je termine 5° féminine de cette étape. Bilan de la journée : c’est au tour de Tanja de gagner, et elle prend la tête des filles, avec une avance de 2h sur moi, suivie de Magdalena.
J’ai une belle soirée devant moi, en attendant que la tente se remplisse au cours de la nuit. Joelle ne pointe pas trop tard. Néanmoins il fait froid et je ne me laverai pas ce soir. Je profite de ma purée / noix de cajou, super bonne.
Le lendemain au réveil, tout le monde est là. Il n’y a pas d’abandon dans ma guitoune. C’est super. Une journée de repos s’annonce pour tous. Je profite à max du superbe environnement du campement, en sirotant du thé toute la journée. Nous sommes installés dans une large vallée bordée de longues crêtes escarpées. Je ne tarde pas à me tenir à l’ombre des barnums pour ne pas cuire.
Le temps limite de l’étape est à midi. Quelques coureurs arrivent encore, au compte-goutte. On attend la dernière, Yui, ma coturne japonaise. Elle est accueillie en triomphe, mais dans quel état ! Elle peut à peine mettre un pied devant l’autre. Elle est pratiquement soutenue par les serre-files. Ses copains japonais prennent le relais. C’est émouvant.
L’après-midi passe doucement, entre sieste et papotage avec les autres coureurs. La plupart sont soulagés d’en avoir terminé avec la longue marche. On fait aussi des échanges des nourritures qui restent, certains en ont trop.
Je prépare mon sac pour les 17 derniers km du lendemain. Tout le monde s’allège. Il y a tout d’abord la caisse de dons au staff chilien. Et on ne se prive pas de mettre tout ce qui est lourd et volumineux dans le sac de secours, même si c’est interdit. J’aurai donc un poids plume demain à porter. Mes guêtres rendent l’âme, elles tiendront bien encore jusqu’au bout.
Un petit bilan s’impose. Tanja a 2h d’avance sur moi et s’octroie le dossard jaune de leader, Magdalena pour sa part 1h, et Kabuki me talonne à 7mn. C’est elle que je crains le plus, car une bonne coureuse de plat me met facilement 7 mn dans la vue sur 17 km. Mais on en a présentement 233 dans les pattes, et j’ai de la ressource. Tanja dit ne pas vouloir forcer, Magdalena est épuisée.
Pour l’instant, partageons les moments de plénitude de la dernière soirée sous ce ciel étoilé si pur, unique, la lune éclairant les sommets.
Pour dormir je n’ai pas froid avec mes 2 sacs de couchage, bon palliatif au dégonflement nocturne et chronique de mon matelas.
La dernière étape est lancée pour rejoindre San Pedro de Atacama, plein nord. J’adopte la stratégie suivante : ne pouvant plus rien pour Tanja et Magdalena, je décide de suivre Kabuki à vue, de manière qu’elle ne me devance pas des 7 minutes fatidiques de façon impromptue, et sans l’obliger à forcer pour me résister si cela pouvait se produire, ce qui me contraindrait aussi à me pousser au bout.
Nous partons en 3 groupes échelonnés. D’abord les « lents » à 7h, puis les « moyens » dont je fais partie à 8h, et enfin les « rapides » qui sont les 9 premiers garçons à 8h30. Du coup on sera assez groupé. Tout le trajet est plat et très roulant, sans aucune difficulté.
La piste passe près du site archéologique de Tulor, mais la visite sera pour une autre fois. Je reste donc juste derrière Kabuki, à 30m environ. Je vois Tanja légèrement devant. Magdalena est derrière, dans les choux. L’allure est facile pour moi, j’aurai pu doubler tout ce petit monde, mais je tiens ma position, tranquille.
Scott me double assez vite. Il est vraiment rapide et il a une large avance sur ses poursuivants que je verrai beaucoup plus loin, près de l’arrivée. A mon tour de rattraper les derniers du groupe des « lents ». Yui d’abord. Elle n’est pas la seule à avoir du mal. Ah, voici Yunès, un petit mot d’encouragement mutuel fait plaisir.
J’arrive sur la route goudronnée à un rond-point. Je me demande si c’est déjà San Pedro car je n’ai pas vu les km passer tellement je suis à l’aise. Ca sent vraiment la fin car tout le monde accélère, moi comprise pour rester dans le sillon de Kabuki. La route est ombragée de grands caroubiers pleins d’oiseaux. C’est agréable et ça change des jours précédents. Je reconnais le ruisseau que je longe à présent et la rue que je remonte. Les flammes et le tambour de l’arrivée sont en plein centre-ville, devant l’église.
Il est 10h et nous avons beaucoup de spectateurs, locaux et touristes. Des Français m’abordent pour me féliciter. Ils ont vu le drapeau bleu blanc rouge sur ma manche. Un groupe de musiciens chiliens nous accueille, l’ambiance est aux congratulations et à la fête. Et c’est pizza party ! D’ailleurs, c’est dommage que ce ne soit pas une spécialité chilienne party, genre de délicieux empanadas, qui sont des petits chaussons farcis. Mais il en faut pour tous les goûts.
Pendant près de 2 heures les coureurs arrivent les uns après les autres. J’ai largement le temps de visiter l’église, entre 2 parts de pizza. Je suis la seule à avoir cette idée. Pourtant elle est très mignonne, toute blanche et bleue, entourée de son muret. Construite en pisé, c’est une des plus ancienne du Chili, datant du 17° siècle.
La course est finie. Seule Yui n’a pas encore pointé. Je me rends à l’hôtel qui est tout près. Mais là, mon sac que j’ai laissé il y a une semaine n’y est pas. Donc le récurage douche et fringues propres tant désirés se feront attendre. On finit par le dégoter à l’hôtel des bénévoles qui n’est pas le même que le nôtre.
Yui finit par débarquer, soutenue par ses copains japonais. Je n’ai plus qu’à prendre le relais… Elle a une belle entorse depuis 4 jours et sa cheville est énorme. Est-ce vraiment raisonnable d’avoir continué dans ces conditions ? J’espère pour elle qu’elle se remettra sans encombre.
Je vais profiter de la piscine, même si l’eau est toujours aussi fraîche. Il fait tellement chaud ! De nouveau je suis la seule à avoir cette idée. Pourtant qu’elle est bonne ! Et cela fait un bien fou pour se détendre et récupérer.
Le soir c’est le banquet de remise des récompenses dans un resto réputé. J’ai le bonheur d’avoir couru 39h40 et de finir 3° féminine et 16° au classement général. A presque 60 balais, pas mal ! J’ai le droit à un trophée assiette. Je goutte enfin le vin chilien, avec parcimonie. Le réputé cépage Carmenere y est exempt de phylloxera, la vigne n’a pas besoin de traitement. Je teste le saumon. Le Chili est le deuxième producteur mondial de saumon avec un tiers de la production. Or ce n’est pas un poisson local, il n’y est pas présent naturellement dans ce pays. Malheureusement les nombreux saumons échappés s’y plaisent bien et commencent à bouleverser l’écosystème marin côtier.
Je n’ai vu qu’une petite partie des spécificités de l’Atacama, je peux désormais jouer la parfaite touriste. Aussi le lendemain, je suis tôt levée pour aller admirer les geysers de Tatio sur l’altiplano à 4500m d’altitude. Ils ne sont actifs que le matin, quand il fait encore froid. Ce sont des sources d’eau chaude qui jaillissent du sol par intermittence à haute température et pression, pouvant atteindre 260°C, au pied des volcans enneigés. Elles produisent de grands jets jusqu’à 6 m de hauteur, la température de l’eau propulsée formant un brouillard au contact de l’air glacé.
Le dernier bus de l’après-midi me fait redescendre en ville, à Calama, pour le long voyage de retour vers la Réunion.
Que c’est beau, l’Atacama !