Une fois n’est pas coutume, c’est en métropole que je pars courir.
Ce sera la traversée des Pyrénées, que je connais très peu, une bagatelle de 800km et 60000m de dénivelé en non-stop par le réputé GR10, dans le sens Méditérranée vers Océan Atlantique. Pas de balisage spécifique pour la course, on suit les marques rouges et blanches, des CP / ravitos espacés de 10 à 70km, un matos obligatoire à trimballer, notamment sac de couchage et calories. On laisse des affaires tous les 200km environ dans 3 bases de vie. Pour le reste, on se débrouille. Ca me va ! Ah j’oubliais, l’assistance est autorisée. Moi qui fais toujours sans, voici que ma maman s’est proposée. Alors allons-y, faisons équipe. Mais elle a prévenu : pas la nuit, pas sur les petites routes de montagne, pas de camping. Ok, je m’adapterai. Et il y a tout de même une difficulté de taille : les temps limites aux bases de vie ont l’air très serrés, et la durée maxi de l’exercice est de 17 jours au total. Je vais devoir rogner sur mon sacro-saint sommeil.
Pour info, le GR10 se fait en 40 jours en mode rando normale.
Cette 1° édition est organisée par RSO. Je connais Cyril Fondeville pour avoir couru sous sa bannière à Oman, donc je n’attends rien de l’organisation, je m’apprête à être autonome.
J’arrive quelques jours avant la course près du départ qui a lieu au Perthus, Cyril n’ayant pas eu l’autorisation de partir de Banyuls, de quoi me remettre d’une nuit d’avion, avec retard qui plus est.
La remise des dossards et le briefing ont lieu le 18 juillet dans la cour intérieure du fort de Bellegarde, belle citadelle de Vauban. J’y retrouve les autres réunionnais, nous sommes 4, quelques coureurs déjà rencontrés de par le monde, français, italien, belge, allemand, libanais, portugais et j’en passe, et également des bénévoles qui me reconnaissent. Un vrai plaisir. Sophie me fait la surprise d’être là, coureuse ex réunionnaise, elle encourage Jean Hugues, coureur ex réunionnais. Cyril ayant avancé l’heure du briefing sans prévenir, je le loupe. Ca commence bien. Il paraît qu’il n’a rien annoncé d’important.
Le départ est donné le lendemain 19 juillet à midi au même endroit, en pleine chaleur. On a le droit à un défilé avec les drapeaux de toutes les nationalités représentées pour passer les douves du château. Je ne suis pas fana de ce genre de démonstration et je ne participe jamais aux ovations demandées par les organisateurs sur les lignes de départ, qui n’ont évidemment pas manquées. Je préfère papoter avec désinvolture avec mes voisins coureurs.
Nous sommes 244 au château, dont 32 filles. Certaines ont l’air connues dans le milieu du trail, mais moi je n’en connais aucune.
J’aurai la même tenue tout le trajet : un superbe maillot XBionic rose, pas du tout dans mes habitudes, mais je n’ai trouvé que cette couleur à la Réunion, et malheureusement à manches courtes, et un collant, ce qui me protègera des ardeurs du soleil et qui me tiendra chaud la nuit. Je prends des bâtons, je suis bien empotées avec au début, nous les réunionnais, on n’en utilise jamais. Mon sac est un des plus légers : 6kg. J’ai pris un 20 litres, ça suffit. J’ai fait une croix sur tout confort : pas de matelas, un mini sac de couchage fait d’une petite couverture polaire cousue en sac, un pull polaire très très fin, pas de pantalon étanche, le poncho obligatoire en plastique tellement mini qu’il en est inutilisable. Les 6000 kcalories obligatoires tous les 200km ont été réduites à 5000, largement suffisant pour moi. J’ai fait mes petits mélanges perso, de bon rapport poids / énergie / volume après mixage, à base de noix de cajou, poudre d’amande, chips, biscuits apéro, sauce béchamel déshydratée, frangipane, répartis en portions de 350 kcal. Tout ça pèse 800g. Hors matériel obligatoire, j’ai un petit tube de crème antifrottement, une paire de chaussettes de rechange, un GPS pour trouver le chemin la nuit. Tout est minutieusement pesé.
Et c’est parti ! Direction le Canigou qu’on aperçoit là-bas tout droit.
J’ai une douleur à la fesse qui m’embête depuis quelques temps, mais j’ai confiance, je suis sûre qu’elle va disparaître.
Une petite route nous accueille, je trottine. J’ai l’intention de courir un peu au début. Jusqu’où ? Aucune idée. Nous sommes rapidement sur un sentier dans une petite forêt. Un peu d’ombre est bienvenu. On ne doit pas être loin de la frontière espagnole.
Je fais la connaissance de mes voisins de route, est-ce que je les verrai souvent ? Aucune idée.
On arrive à une grande fontaine. J’ai encore de l’eau et il y a la queue. La chaleur ne me fait pas peur, et je n’ai pris que 1,5 litre au départ. Je passe tout droit.
Et voilà que je suis à sec un peu plus loin, j’ai donc bu plus que je ne pensais. Il paraît qu’il fait dans les 40°C, mais je ne le sens pas spécialement, habituée à la chaleur. De plus mon maillot rose est efficace. Je tombe justement sur une fontaine providentielle. De toute façon, le CP1 n’est pas loin. Voilà Denis, le réunionnais organisateur de notre diagonale des fous qui arrive. Il n’a pas l’air bien, lui il a du mal avec la température.
33km qu’on est parti et l’éco-gîte du moulin de la Palette est fort accueillant pour le CP1. Le patron a concocté une soupe aux orties délicieuse et pleine de vitamines. Je reprends vite le chemin.
Une bonne descente m’amène à Arles sur Tech. Aïe, je sens mes orteils qui cognent au bout de la chaussure. Déjà ! Mais j’ai encore 800 bornes à faire moi ! Mes ongles ne vont quand même pas commencer à m’embêter dès maintenant !
Je traverse le Tech sur un petit pont, des gens se baignent dans la rivière. Et c’est déjà le CP2, et 41km parcourus.
Je fais une pause repas dans la salle municipale, et j’en profite pour regarder ces fameux ongles des pieds. Et oui, les deux gros orteils sont sensibles. Je vais faire avec pour l’instant, pas le choix.
La nuit est tombée quand je repars. La vue se limite au halot de la lampe, et je progresse aux sensations des dénivelés qui sont tranquilles pour l’instant, les cols sont dans les 1000m.
J’arrive au refuge de Batère au CP3, au 53° km. Il y a de quoi manger. Je peux admirer mes orteils : les deux ongles ont un hématome. Bon, il ne reste qu’à les percer. Je n’ai jamais pratiqué la chose moi-même car je n’ai jamais ce genre de problème d’habitude. Il faut croire que les Pyrénées ne sont pas habituelles. Je prends la petite épingle à nourrice de mon dossard et m’apprête à attaquer le premier ongle, quand mon voisin me conseille gentiment et me file une grosse aiguille de seringue, stérile qui plus est. C’est mieux ? Ah oui, le trou est vite fait et je vide le sang. Tout ça à table évidemment.
Denis arrive à son tour. Il n’a qu’une envie, vomir…
Sur ce il est temps d’aller piquer un somme. Je trouve une petite place sous une tente en poussant 3 singapouriens inséparables. Je n’ai pas de matelas, mais je me dégotte un bon oreiller : mes ravitos mixés s’avèrent très confortables. Je mets ma montre à sonner et repars 1h plus tard.
Le jour se lève. Je passe devant l’abri de Pinateil. J’ouvre la porte par curiosité pour savoir à quoi ressemble un abri pyrénéen… et je réveille un dormeur. Oups, désolée, je n’avais pensé qu’on pouvait encore dormir à 7h, moi qui suis debout depuis 2h du mat. Je commence déjà à être déphasée.
Le parcours suit un joli sentier à flanc de montagne, qui file droit sur le Canigou, tout gris là-bas au fond. Il y a moins d’arbres qu’hier, on est plus au soleil. Je pique-nique toute seule sur une table près du petit chalet de Cortalets. Quel luxe ! J’ai prévu de manger une de mes rations toutes les 6 heures, à partir du repas du CP précédent.
J’ai déjà abandonné l’idée de courir, je me contente donc de marcher d’un bon pas et d’admirer le paysage.
On commence à rencontrer des groupes de marcheurs en s’approchant du Canigou. Un guide explique à ses clients que la dame qu’ils voient grimper allègrement fait une course qui traverse toutes les Pyrénées. Ils n’en croient pas leurs yeux ni leurs oreilles. J’ai le droit à des encouragements.
J’arrive au refuge de Bonne Aigue. De nombreux coureurs y sont attablés. Je ne m’y arrête pas, je viens de m’enfiler ma dose de noix de cajou.
J’attaque la descente dans une forêt. Je double Dominique, un passionné du désert, qui a l’air de marcher sur des œufs. Petit mal de pied ? Il abandonnera peu après.
Quant à moi mes ongles sont toujours sensibles, mais ça va mieux.
Je sors de la forêt et j’arrive sur une belle piste, qui surplombe la vallée verdoyante de l’abbaye de St Martin, où je suis allée dans ma jeunesse. La descente continue dans les pâturages, et j’arrive au refuge de Mariailles où il y a foule, bien que nous soyons maintenant espacés sur les sentiers. Il faut passer une clôture électrique à l’entrée du refuge et un coureur n’ose pas toucher la poignée isolante pour ouvrir. Je lui explique en anglais qu’il n’a rien à craindre. Il y en a qui ne courent qu’en ville ?
Le gîteur est furieux. Il n’a pas été prévenu par l’organisation de l’arrivée massive de clients coureurs assoiffés et affamés, et il ne peut répondre à la demande, il n’y a plus rien à manger. Et je ne suis pas dans les dernières… J’ai juste besoin d’un peu d’eau, il m’indique le robinet en râlant. Avec ma gestion de repas toutes les 6 heures, je n’ai pas besoin de manger dans les gîtes, et le poids de mon sac s’allège au fur et à mesure.
La descente se poursuit dans une belle forêt. Le sentier longe un canal où coule un petit torrent, ça change du paysage sec des Pyrénées orientales traversé jusque-là.
Je croise le fils de Marta, mon amie italienne avec qui j’ai déjà partagé plusieurs courses de par le monde. Ai-je vu sa mère ? Non, pas depuis le départ, je ne sais pas du tout où elle est. Elle doit être comme moi, le téléphone est éteint au fond du sac, donc injoignable.
Me voici arrivée au très beau village de Py aux maisons de schiste, qui abrite une centaine d’habitants.
La route monte pour arriver au CP4, au km 93, une tente installée sur la petite place du village entre église et mairie. J’en profite pour bien manger. Je ne suis pas fana de coca, heureusement car le ravito n’a que… 6 bouteilles pour plus de 200 coureurs. Je me repose une demi-heure, allongée directement sur le bitume au milieu de la place, on prend ce qu’on a. Les tentes de repos ne sont pas encore montées car ce n’est pas encore la nuit. Les organisateurs n’ont pas pensé pour pouvait avoir besoin de se reposer indépendamment des nuits ?
Karine, spécialiste de VTT, fait comme moi, mais elle trimballe un matelas au demeurant fort volumineux. Elle se plaint de l’état catastrophique de ses pieds.
Je crème les miens, vide les hématomes des ongles en les reperçant, comme je ferai à chaque arrêt, l’épingle à nourrice étant suffisante maintenant. C’est que ça remplit à gogo sous l’ongle.
Ils affichent les noms des coureurs passés au CP. Voilà qui me donne des nouvelles de Sébastien et Thierry, les réunionnais. Je suis 36°. Mais ce n’est pas mal du tout ça !
Pierre, que j’ai connu en Egypte il y a quelques années, étudie la carte et repère un refuge sur notre parcours pour s’y arrêter cette nuit.
Je repars. J’atteins le col de Mantet, après une grimpette dans la forêt. On domine le minuscule village du même nom, tout mignon au milieu des pâturages. La vallée bien verte change des cailloux gris du Canigou. Personne n’a été prévenu du passage des coureurs, les habitants auront la bonne idée d’ouvrir l’église pour loger tout ce petit monde ce soir.
Voilà un gué à traverser à la sortie du village. Je ne suis pas forte pour les gués, sauter de pierre en pierre n’est pas ma tasse de thé. Pierre me porte presque dans ses bras pour me faire passer. Merci ! En fait il y a un pont à 50m que personne n’a vu.
On est un petit groupe, on remonte le long d’un torrent. Un coureur qui porte une tente s’arrête pour camper. Nous continuons à monter et la nuit tombe. Pierre ne trouve pas le refuge escompté et décide de s’arrêter avec Alexandre pour dormir dehors sur un replat bien herbacé. Je les abandonne et je continue seule vers le col del Pla, 2300m d’altitude, où je vois plus haut quelques lumières des lampes de coureurs.
En fait Ils ne dormiront pas et reprendront la route pour cause d’excès de crottes de mouton fraiches comme matelas.
La descente après le col est en forêt. Je double un coureur qui trimballe un casque orange sur son sac. Quelle drôle d’idée !
J’arrive à un torrent à franchir. Et après ? Je ne vois plus aucune marque rouge et blanche du GR et plus de chemin. Le GPS me renvoie vers l’eau. Je tourne un bout de temps avant de trouver le bon passage, quand une lampe apparaît derrière moi. C’est Patrice, que je croyais loin devant. On fait un bout de chemin ensemble.
Je dois déjà changer les piles de ma lampe. Ce n’est pas normal, ce sont des piles performantes au lithium. Les galères de piles, c’est ma spécialité.
Jean Hugues, l’ex réunionnais retourné en métropole nous rattrape. Il a une tente et s’arrêtera peu après pour dormir.
Nous arrivons au refuge de Carança. Le coin a l’air chouette avec le torrent. Pour l’instant, ça pionce de partout. On décide de continuer. Je ne vais pas à la même vitesse que Patrice. Je monte plus vite, et il s’arrête tout le temps. Je ne l’attends pas. Il y a une piste, et visiblement un sentier qui la coupe et grimpe tout droit. Je ne vois pas le balisage et il faut bien le chercher. J’en loupe quelques morceaux.
J’arrive au col de Mitja. C’est la même chose de l’autre côté, piste et raccourci, que je manque complètement. Patrice me rattrape, il va plus vite que moi en descendant, je vois sa lampe qui s’éloigne et disparaît devant, je suis de nouveau seule.
Je finis par trouver le sentier, qui descend à pic dans la forêt. Il est temps car je ne reverrai plus la piste par la suite. Mes piles s’affaiblissent vite, bien trop vite, et ce n’est toujours pas normal. Je suis rattrapée par un coureur, je le suis pour ne pas avoir à chercher les marques du GR avec mon éclairage faiblard. Il a l’air expert en utilisation du GPS. Néanmoins il finit par paumer le chemin. Qu’à cela ne tienne. Nous sommes en fond de vallée et il faut contourner un torrent. Il ne se fie plus qu’au GPS, nous sommes dans les grandes fougères, puis dans des énormes blocs de rochers. La progression n’est pas aisée, et je dois me presser pour ne pas me faire distancer. On finit par retrouver le sentier.
Le jour se lève, je le laisse partir devant car je m’épuise à suivre un rythme qui n’est pas le mien.
Je ne reste pas longtemps seule, Patrice surgit derrière moi. Il n’était pas devant ? Si si, mais il a loupé le sentier depuis la piste et a fait un long détour. Il a pourtant un système sophistiqué de visualisation de son GPS sur le ventre, qui apparemment ne sert pas à grand-chose… Il passe devant.
J’arrive au village de Planès. La vallée est large et me paraît très civilisée, après cette nuit entière passée dehors. Je rejoins Bolquère au milieu des champs, au km 128. Je ne fais que pointer rapidement au CP5, maman m’attend à la sortie du village. Elle a dégoté un petit coin tranquille près d’un cours d’eau, où je peux me rafraîchir, me laver et rincer mes fringues.
J’arrive au village de Planès. La vallée est large et me paraît très civilisée, après cette nuit entière passée dehors. Je rejoins Bolquère au milieu des champs, au km 128. Je ne fais que pointer rapidement au CP5, maman m’attend à la sortie du village. Elle a dégoté un petit coin tranquille près d’un cours d’eau, où je peux me rafraîchir, me laver et rincer mes fringues.
Je n’ai pas fait de plan de course, impossible pour moi de prévoir où je serai dans une semaine. Et j’ai bien eu raison car tous ceux qui en ont fait se sont plantés. Au grand désespoir de maman qui aurait bien aimé réserver tous ses hôtels il y a 3 mois.
Je commençais à sentir des échauffements au niveau des bords extérieurs sur les deux pieds. Et oui, j’ai une ampoule de chaque côté. Il y a trop longtemps que je n’ai pas enlevé mes chaussures et bichonné mes pieds, c’est malin.
J’ai le droit à un bon repas de spécialités locales et des fruits et légumes frais, merci maman, et à un super massage avec le baume du randonneur conçu par les bénédictins de l’abbaye de Wisques, à côté de chez les parents, et je prends un repos de 4h sous la tente, bien qu’il fasse jour et chaud. Avec ça je ne peux être que requinquée. Pour épargner mes orteils, je change de chaussures, je troque les Salomon pour des Asics, et je change de lampe. Ma douleur à la fesse a bel et bien disparue, je suis tranquille de ce côté-là. J’embarque du thé au miel dans une petite fiole pour le plein d’énergie, ma potion magique, comme je ferai à chaque fois que je croise maman.
Je repars vers midi sur un plateau à 1800m d’altitude, le long du lac de la Pradelle, une des rares étendues d’eau naturelle que je verrai. On voit au loin une station de ski. Le chemin est facile et bucolique, avant d’atteindre le lac des Bouillousses. Il y a foule de touristes et de coureurs en goguette. Je traverse le barrage, puis le sentier longe le lac pendant un bon bout de temps. C’est reposant. J’y croise Sophie en train de courir et elle me donne maints encouragements et des nouvelles de Jean-Hugues.
Puis le sentier quitte le lac et s’élève vers une nouvelle vallée. Je suis perturbée car je ne connais pas les noms des montagnes, et mon petit bout de carte ne me renseigne pas. Mais je fais route avec René, qui connaît les Pyrénées comme sa poche, au point qu’il n’a pas pris de GPS. A chaque fois que nous sommes ensemble, je lui demande le nom des montagnes. C’est donc le Carlit qui s’élève devant nous.
Nous remontons un torrent sur une pente douce. Je suis tantôt avec André, qui a cassé ses lunettes et qui ne peut plus lire ni carte ni GPS et qui aimerait bien faire une pause dodo, tantôt avec Pierre et Alexandre, mais je finis par filer devant tout ce petit monde.
On s’élève vers quelques névés à traverser. De la neige ! Il y a longtemps que je n’en ai pas vu. J’arrive au lac de Lanoux qu’on surplombe. Le paysage est très minéral et désolé et les pierriers deviennent nombreux. Je passe le col d’Anyell, la nuit arrive dans la descente, bien raide, qui longe un petit torrent. J’allume ma lampe, et au bout de 10 minutes, tout s’éteint, juste au moment de traverser le torrent. Me voilà bien avancée ! J’aurai deux lampes qui posent problème coup sur coup ? Je n’ai plus qu’à m’assoir au milieu du sentier et à attendre le coureur suivant. Un énorme crapaud et des limaces me tiennent compagnie.
C’est un petit groupe mené par Alexandre qui surgit de la nuit. Il me donne sa lampe de secours. Est-ce que mon problème peut venir des piles ? Oui me dit-on, certaines lampes s’éteignent d’un coup quand les piles sont faibles. Les miennes sont neuves. Je serai tombée sur un lot de piles déchargées ? Quelle veine !
Nous arrivons rapidement au refuge des Bésines, à 2100m d’altitude. D’un commun accord, ce sera arrêt dodo pout tout le monde. Le gîteur est très sympa. Il s’adapte à cette foule de coureurs qui débarque sans prévenir à n’importe quelle heure et se décarcasse pour nourrir les affamés. J’ai englouti ma ration de chips au dernier col, je n’en ai pas besoin, je veux juste bichonner mes pieds. J’ai une place dans le dortoir du bas. Il y a apparemment toujours un dortoir du bas dans les refuges, qui sert de débord. Je me couche toute habillée, avec 2 couvertures bienvenues. Avec la fatigue, dès que je m’arrête, j’ai besoin de me réchauffer. Je commence à avoir les jambes qui gonflent facilement. Je mets mes pieds en hauteur pour favoriser une bonne circulation. Peine perdue, la sensation est pire et je ne supporte pas. Je remets mes jambes à plat et je m’endors illico.
Je repars 3h plus tard, seule. Les autres ont décidé de dormir plus longtemps. Mes jambes ont dégonflé, mais l’œdème reviendra rapidement.
En sortant du gîte, impossible de retrouver la bonne direction à prendre dans la nuit. Désormais, il ne faudra pas oublier de demander systématiquement par où repartir avant d’aller au pieu. J’essaie à droite, à gauche, sans succès. Voilà des lumières qui arrivent et qui m’indiquent la bonne direction. Je reprends la descente, et j’atteins Mérens les Vals au matin sous la pluie, base de vie n°1, 166 km au compteur.
Je connais bien la race des chevaux de Mérens, qui ont bon pied sur nos sentiers réunionnais et qui sont utilisés en débardage, mais je ne savais pas que c’était aussi le nom d’un village. Quant aux chevaux, ils travaillaient dans les mines de fer du coin.
La BV est au camping. Je dépose la lampe d’Alexandre dans son sac de rechange, comme promis. Je tente la boutique du camping pour y acheter des piles, et je tombe sur Dominique et Pascal qui m’en refilent un paquet. Dominique ayant abandonné, il n’en a plus besoin. Ils m’encouragent. Merci les gars !
Il est temps de prendre des forces, il y a du cassoulet en boîte au menu, qui apparaît comme un régal. C’est bien la première fois que je mange du cassoulet sur une course. Je ressens un besoin inhabituel de viande, moi qui en mange peu normalement. Mes portions n’en contiennent pas, je pallie le manque de protéines avec de la spiruline, c’est léger. Les ravitos de la course sont copieux à défaut d’être raffinés, et ce sera toujours le même menu, ce qui ne me gêne pas du tout.
Le point médical est assuré par la sécurité civile, simples secouristes. Il y a la queue pour les soins de pied. Ils refusent de percer les ampoules. Mais alors, à quoi servent-ils ? Celui à qui je montre mes pieds ne sait même pas qu’il faut percer les ongles pour vider les hématomes. Ok, je continue à vider les miens toute seule. Quand à mes 2 ampoules, il n’y touche pas et me conseille d’y donner un coup de ciseau. Oups ! Je retire vivement mes pieds de sa vue et lui demande juste de quoi désinfecter mon épingle. Je m’occuperai de mes pieds moi-même. Je pense que j’ai eu grandement raison et qu’ils ont fait pire que mieux pour beaucoup de coureurs.
Je ne m’éternise pas à Mérens et je repars sous la pluie. Bienvenue dans l’Ariège !
La montée se fait dans une belle vallée, mais la pluie redouble et je regarde plus mes pieds qu’autre chose, en levant le nez de la capuche de temps en temps. Voilà le tonnerre qui s’y met, il reste lointain et ne m’impressionne pas. Histoire d’avoir la totale, la grêle dégringole, qui ne dure pas heureusement.
J’arrive près d’un petit lac, près duquel paissent des vaches et mes premiers chevaux. Leur pays ne s’avère pas très accueillant. La pluie cesse au moment d’amorcer la montée plus prononcée vers le col, et le refuge du Ruhle sur l’autre versant, à 2200m d’altitude. Je m’installe sur la terrasse pour faire sécher mes affaires et fais prendre l’air à mes pieds trempés. Voilà qui ne va pas les arranger. Comme d’hab, les quelques autres coureurs présents commandent leur repas, pendant que je me contente d’une portion de biscuits apéro.
Le gîteur me propose un lit pour 1/2h de repos, impec !
Je repars le long d’une belle crête qui m’amène au plateau de Beille, et la pluie revient. Le CP6 est à la station de ski, au 189° km. Il y a des yourtes pour nous loger, le coin doit être agréable quand il fait beau. Mais d’abord, place au repas. Je me retrouve entassée avec les autres coureurs dans un petit chalet, chauffé par un poele devant lequel pendouillent toutes les chaussettes. La chaleur ambiante est bienvenue. Il y a bombance, double portion de lasagnes pour moi svp.
Une fois revigorée, je me repose 1h sous la tente, avant de repartir à 22h en début de nuit, sous une pluie battante et dans les nuages. La visibilité est réduite, je dois demander où est le chemin.
Roberto le sarde, qui trimballe son grand drapeau à tête de Maure, veut venir avec moi, mais il n’est pas prêt tout de suite. Désolée, mais je ne vais pas me refroidir à l’attendre.
Je suis une bonne piste, mais les marques rouges et blanches disparaissent tout d’un coup. Le GPS m’envoie à droite. Je suis dans la pluie, le brouillard, il fait froid, je n’ai plus de chemin, je ne vois rien… et je suis devant une cabane de vacher providentielle, à Artaran. Ni une ni deux, je pousse la porte, même si je ne marche pas depuis longtemps. C’est plus que sommaire, mais je suis au sec. Il n’y a rien, mais ce n’est pas trop sale. Je m’installe sur un carton, lui-même sur une petite dalle en béton. Je rappelle que je n’ai pas de matelas. Dehors, la tempête se renforce, je me suis mise à l’abri vraiment juste à temps. Je mets ma montre à 5h, juste avant le lever du jour, et je m’endors sans vergogne sur mon carton. Quand j’émerge, il fait nuit noire et tout est calme, c’est l’arrêt du bruit de la pluie qui a dû me réveiller, il est 3h. Je pointe le nez dehors et je vois 2 lampes qui passent devant ma cabane. Je repère le chemin perdu la veille.
Me voilà de nouveau sur le sentier, ça monte en forêt. Puis je me retrouve sur une piste et je serpente entre les flaques, de quoi manquer les marques du GR et le sentier qui repart en forêt sur la droite. Heureusement je contrôle le GPS de temps en temps. Demi-tour donc, je n’en suis pas loin.
Roberto me rattrape lors d’un petit arrêt. Nous continuons ensemble, il compte sur moi pour l’orientation. Ok, ça va m’obliger à être vigilante. Je passe devant. Nous traversons une petite route et une rivière. Une piste reprend en face, carrefour de plusieurs sentiers. Je prends celui qui n’a pas de croix rouge et blanche, signe de mauvaise direction sur un GR. La pente est très raide, ça monte, puis les marques du GR nous font descendre et traverser un torrent sur une passerelle, et… nous nous retrouvons sur la piste près de la route. Bref, nous avons fait un tour complet. Pas top. Pourtant il y a bien les marques du GR. Sur le GPS, je n’y comprends rien, nous sommes aussi sur le sentier. On se calme, on reprend, et 2° tour complet. Ah la la, quel nœud ! Roberto suit bêtement sans chercher la solution au problème. Je finis par comprendre qu’on a pris le chemin à l’envers, et que la première portion est un raccourci. Nous sortons de ce pétrin et reprenons notre marche.
Le jour se lève. Roberto traîne, je le distance. Je sors de la forêt et me retrouve avec les vaches dans les herbes hautes et plus qu’humides. Et bien sûr il n’y a plus de sentier et plus de balisage. C’est la réputation du GR10 en Ariège, et je m’aperçois qu’elle n’est pas usurpée. Je trace au GPS vers une cabane que j’aperçois un peu plus haut, je voudrai bien m’y abriter pour casser la croûte, car il ne fait pas chaud. Elle s’avère pleine à craquer. Le groupe des coureurs catalans a investi la première pièce. J’étais avec eux au plateau de Beille, et les retrouver me conforte dans mes questionnements sur la gestion du temps perdu par mon arrêt imprévu de la nuit. Il y a un peu de place dans l’autre pièce, avec un randonneur. C’est beaucoup mieux que la mienne de cabane, il y a des bas flancs et des matelas. Il y a même un stock de conserves et un réchaud, avec paiement au gîte du prochain village. Quelle organisation des habitants du coin ! Il est vrai que les refuges sont inexistants dans les parages.
Je repars pour la grimpette d’un avenant raidillon. Le sentier est bordé de grandes fougères et d’arbustes, enfin, tant qu’il y a un sentier, car justement, il n’y en a plus. Je fais marche arrière, je cherche dans tous les sens, ça ne passe pas. Que de temps et d’énergie perdus ! Roberto arrive, nous cherchons ensemble vainement. C’est au tour de catalans de se pointer. Un des gars prend la tête et coupe tout droit en suivant la trace GPS, dans la végétation aussi haute que nous.
Après cette montée ardue, nous arrivons à un col et un plateau rempli de vaches et de chevaux. Le vent s’est levé, avec une pluie fine et glacée. Un coureur sort d’une minuscule cabane et se joint à notre groupe.
Sur la crête il y a une petite maison, et un monsieur sort dans la tourmente en nous faisant de grands signes. C’est le vacher qui nous invite à venir nous réchauffer un instant chez lui. Il y passe les 4 mois d’estive avec sa femme et sa petite fille, il s’occupe de 1000 têtes de bétail, ça m’impressionne. Il nous offre un thé bien chaud et nous propose de la faisselle fraiche maison avec de la confiture de framboise aussi maison. Quel régal ! Il a requinqué Thierry le réunionnais hier soir, qui a les pieds en très mauvais état. Son beau-frère est aussi réunionnais ! Je suis bien transie, et j’en renverse mon thé. Mince, c’est malin.
Il nous dit de bien suivre le balisage sur le plateau car il n’y a pas de chemin, et nous sommes dans le brouillard et la bruine. Les marques sont sur des petits piquets.
Nous repartons, et je marche plus vite que les autres, je pars devant. Le temps se calme, et la vue se dégage sur les magnifiques chaînes de montagnes de l’Ariège. Je rattrape un autre coureur qui essaie vainement d’entrer dans les cabanes qu’on croise et qui sont toutes fermées. Je continue sur une bonne piste maintenant, et c’est la descente vers le village tout fleuri et tout en pente de Siguer, le sentier coupe les lacets de la route. Il y a un mariage, la petite place est pleine. Tout le monde est bien habillé et moi je suis un peu crade. Puis j’arrive au village de Lescour dans la vallée. Les toits des maisons ont changé de couleur, ce sont maintenant des ardoises grises, et du coup l’aspect des villages paraît complètement différent.
Je fais une halte au lavoir, histoire de me restaurer et soigner mes pieds qui ont pataugé dans la flotte pendant de nombreuses heures.
Au milieu de la route, il y a une inscription peinte : « non aux ours ». Pour l’instant, je n’en ai pas rencontré.
Le sentier part de nouveau en montée dans la forêt. Marta débarque, je suis contente de la voir, mais elle s’écroule dans un champ de foin pour dormir, elle n’en peut plus.
Je passe un petit col et redescends dans la forêt. J’y rencontre des ramasseurs de champignons, leur panier est plein de girolles. Puis je descends vers Gourlier au gîte d’Andron, c’est le CP 7, situé au 221° km. Il est 17h.
Un festin nous y attend : buffet avec entrée, plat, dessert, ça fait du bien de se remplir la panse. Et je fais figure de petite mangeuse auprès des autres coureurs.
Nous avons le droit à une autre surprise, il y a un podologue. Je lui présente donc mes petons, qu’il ne trouve pas si mal, et loin d’être les pires. Je continue de vider à chaque arrêt ongles et ampoules. Mais je n’ai guère de nouveaux conseils de sa part pour améliorer la situation, et ses beaux pansements ne tiendront pas longtemps. Les podologues n’aiment pas l’élastoplast comme protection, j’en remettrai pourtant rapidement, puisqu’il n’y a que ça qui tient.
Pour dormir j’ai le choix entre un bon matelas d’herbe moelleux sous une tente et un carrelage bien dur dans une salle. Il n’y a pas à hésiter, direction la tente pour un petit somme de 4h.
Je suis prête à repartir à 22h. Une bénévole me demande si je peux prendre avec moi un chinois qui ne veut pas faire la nuit tout seul. Ok. En fait de chinois, c’est un malaisien. Donc me voilà affublée de Jodi, et Marcel, un policier belge, en profite pour compléter la fine équipe. Marcel est bavard et alimente la conversation nocturne, en français et en anglais. Jodi compte sur moi pour trouver le bon chemin.
On s’élève un peu dans la forêt, pour rejoindre un sentier à flanc de montagne, formé de grosses lauzes. A droite, c’est le vide, à gauche, la paroi verticale de la montagne. Je suppose que la vue sur la droite doit être très belle. Nous arrivons à un croisement, les deux directions correspondent au GR, nous avons le choix. Sur le GPS, à gauche, ça paraît plus court, mais ça monte puis ça descend, et tout droit c’est le chemin à plat qui continue et qui contourne la montagne. D’un commun accord, nous prenons tout droit. En fait nous sommes sur un ancien aqueduc.
Marcel a une tente, il nous lâche dès qu’il a trouvé un petit coin potable pour la planter. Je continue avec Jodi, jusqu’à ce que nous arrivions à un croisement. Nous ne trouvons pas le bon chemin du premier coup, l’aqueduc s’est évaporé, et ce n’est plus plat du tout. Nous faisons quelques allers-retours dans la pente, histoire de nous épuiser. Ca y est, nous nous sommes remis sur les bons rails, et nous descendons vers le village de Marc dont on voit les lumières. Il est 5h du matin, il y a plein de sacs de couchage qui dorment, éparpillés à l’entrée du village, qui dans l’herbe, qui sur un banc, qui sous une tente. En fait quand les coureurs dormeurs ont commencé à s’installer partout, madame la maire a failli faire une apoplexie car, comme dans tous les villages précédents, elle n’était pas prévenue, et Marc est un passage de contrebande avec l’Espagne.
Il fera jour dans une heure, je ferai bien une petite pause moi aussi. Je tente l’église, quitte à y traîner Jodi qui est musulman et qui me suis comme un petit chien, mais elle est fermée. Nous traversons la rivière et Jodi voudrait s’arrêter sous l’auvent d’une maison, mais c’est trop prêt du torrent, qui est très bruyant, et je refuse. Le sentier remonte par un escalier entre les maisons, évitant un bout de route. Il y a un gîte de France, avec le portail ouvert sur une petite cour. Ca m’a l’air parfait, à part que c’est privé et que c’est partout de la pierre. Je préviens Jordi, il vaut mieux que nous soyons partis au lever du jour, ce qui nous laisse une heure pour dormir. Il s’installe sur le pas de porte, et moi sur un banc en lauze qui est juste de ma longueur. A peine le temps de sortir mon oreiller ravito et je pionce déjà sur ma pierre. Comme quoi les matelas, ça ne sert à rien.
Ma montre me réveille et je suis prête à partir avec le jour, nous sommes dimanche, il est 6h. Mais Jodi dort toujours. Je le secoue, le temps de prendre mon petit déjeuner sur les marches du sentier. Marta passe, ça me fait plaisir de la voir, elle est bien mieux que la fois précédente. Sur ce, la porte de la maison s’ouvre malgré l’heure matinale. Mince, Jodi est toujours dans le jardinet. Le monsieur s’avère très agréablement surpris de nous voir, il reconnaît Jodi qu’il a vu hier à Siguer ! Du coup il nous offre à manger, du pain et de la confiture à la vraie heure du petit déjeuner. Il n’en faut pas plus pour nous ravir.
Maintenant qu’il fait jour, Jodi et moi n’allons plus à la même allure et il n’a plus besoin de moi, nous nous séparons. Il est pressé d’arriver à Hendaye car son avion est deux jours avant le temps limite de la course.
Après une courte montée, je retrouve un autre aqueduc, sur lequel débouchent plusieurs entrées de galeries d’anciennes canalisations. Cette portion est facile, avant de s’élever de nouveau vers le haut d’une belle cascade, et de déboucher sur une combe très humide, il y a des petits lacs partout. Avec toutes les fleurs estivales de toutes les couleurs, dont le très beau chardon bleu qui m’a tapé dans l’œil, et les chevaux, c’est magnifique. J’arrive au refuge de Bassiès près d’un de ces lacs, je ne m’y arrête pas, et je monte vers le col du même nom pour atteindre le port de Saleix, il y a encore des étangs. Les sommets sont arrondis et tout verts, c’est le domaine des ours, il y a des panneaux à leur sujet. Je me régale, c’est un des coins que j’ai préféré. Les marmottes ne sont pas en reste et crient, mais je n’arrive pas à les voir.
Après une belle descente dans les estives, j’arrive à un sentier en sous-bois qui mène doucement à Aulus les Bains. Je double Karine qui s’apprête à faire trempette dans le torrent, c’est vrai que c’est tentant. Je suis avec un autre coureur, et nous cherchons la suite du GR, sans le trouver. Je ne comprends pas mon GPS qui m’envoie en arrière. Nous demandons à plusieurs personnes, et nous tombons à chaque fois sur des accompagnateurs de coureurs qui cherchent aussi le sentier. Pour finir, un monsieur nous explique notre bévue. Nous aurions dû tourner bien avant Aulus. Je n’ai pas fait gaffe car Cyril, notre organisateur, m’a dit à Gourlier qu’il allait ajouter une salle de repos à Aulus, ce qu’il n’a pas fait. Donc j’ai foncé droit dans la direction d’Aulus en pensant qu’on y passait. Et non.
Donc demi-tour pour retrouver facilement le droit chemin. Chemin qui monte très raide vers la cascade d’Ars. Les bâtons aident beaucoup, je suis devenue experte maintenant. Mon acolyte n’en a plus qu’un, il a cassé l’autre. Son sac aussi est en piteux état. Je le laisse en plan rapidement, il est trop lent.
Je m’en sors bien au niveau matériel, pas de casse de mon côté.
Il y a foule, nous sommes un dimanche de vacance, et nous les coureurs, nous passons inaperçus. Néanmoins un joggeur m’a repérée et me prend en photo, qu’il m’enverra. Sympa !
La cascade est vraiment très belle. C’est le but des promeneurs, et il y a beaucoup moins de monde après. Ca continue de monter jusqu’à un pont qui traverse le torrent. Je me rafraîchis dans la rivière, et un groupe de touristes belges m’encourage, surtout qu’ils carburent au régime frites et bières.
Après, il n’y a plus personne sur les sentiers. Encore une cascade, celle du Fouillet, beaucoup plus modeste, et je me rapproche du prochain col. Je trouve Marta, assise par terre. Elle me demande les heures des barrières horaires, très inquiète. Elle est épuisée. Courage Marta ! C’est la dernière fois que je la verrai. Elle abandonnera au CP suivant.
Une fois le col franchi, j’arrive sur un domaine skiable, à l’arrivée des télésièges. Puis j’ai la vue sur la station de ski de St Lizier. Je descends une piste de ski, tout droit, jusqu’à ce que la trace devienne une piste noire de VTT, interdite aux piétons. C’est embêtant, j’ai dû paumer ma belle piste de ski, mais je ne vois pas d’autre alternative que l’interdiction aux piétons. Et c’est bien dommage car du côté VTT, ce n’est que de la boue, une vraie patinoire. Je m’accroche aux arbres comme je peux, et bien sûr je finis sur les fesses tellement ça glisse. Une fois, deux fois. Bon, il y en a marre, je suis bien contente de retrouver la partie skiable pour finir.
Je quitte le ski pour un sentier dans la forêt qui descend vers le village de Bidous. Je rejoins une fille qui avance à la vitesse d’un escargot. Elle a très mal aux pieds. Je ne peux rien pour elle.
La nuit tombe juste avant d’arriver au gîte de l’Escolan, le CP 8 et 285 km parcourus. Il y a du monde.
Cyril l’organisateur m’accueille. Il me demande des nouvelles de Zoé. Mais qui est Zoé ? C’est la fille escargot. Il veut savoir s’il faut aller la chercher. Ce serait bien pour elle, si on peut la porter. Sinon ça ne servira à rien. Il me refile rapidement au caméraman de sa télé, sans me demander mon avis. Le mec me filme sans m’adresser la parole. Voilà qui ne me plaît pas beaucoup, et je lui rends la pareille. J’extirpe mes petons des chaussures, ils ont bien soufferts dans la descente boueuse. Il est temps de les aérer et de pallier aux nouveaux frottements apparus avec l’humidité de la dernière partie du parcours. Il se lasse vite de les filmer et me laisse tranquille.
Passons aux choses sérieuses, double portion de soupe, double portion de pâtes bolognaises avec plein plein de fromage et double portion de gâteau.
Le fils de Marta me demande des nouvelles de sa maman. Elle ne devrait pas être loin. Dis-lui bien que la barrière horaire est à la prochaine base de vie, pas sur les CP intermédiaires. J’en profite pour avoir des nouvelles des copains qui sont devant. Ca a l’air bien difficile d’appuyer sur une touche de l’ordinateur, visiblement ma demande n’est pas prioritaire, je dois insister.
Autour de moi ça ne parle que d’abandons, d’évacuations à l’hôpital, de pieds très infectés. Je m’en sors encore bien de ce côté-là. Il y a notamment l’autre Isabelle qui rend l’âme.
Karine arrive alors que je prends possession de ma tente, il est temps de dormir un peu tout de même. Quelle longue étape je viens de parcourir !
Le lever est programmé à 3 heures, et après un copieux petit déjeuner, je repars avec le groupe d’André. Il a réussi à dénicher des lunettes pour remplacer celles qui sont cassées. Ils sont bien organisés pour la marche de nuit. Un au GPS, un au balisage. Je n’ai plus qu’à me contenter de suivre, ce qui n’est pas une mince affaire pour moi car je suis plus lente qu’eux, bien que le terrain soit facile. Au lever du jour je les remercie de m’avoir attendue par moments, et les laisse filer devant, en entrant dans la forêt quand la pente s’accentue. Je ne reverrai plus André, qui n’arrivera pas au bout.
Je double un groupe, avec Denis et Karine. Je vais plus vite, et Denis me suit, il est en forme maintenant. On papote des nouvelles de la Réunion. A la descente, il part devant en courant. Oui, il a retrouvé la forme.
Je croise un type qui est tout content de m’indiquer le chemin vraiment très en détail, une vraie carte ambulante. Merci, mais c’est un peu trop. J’arrive au charmant petit village de Couflens, et ça remonte après la traversée de la rivière, vers le minuscule village de Faup, très fleuri. Je fais une halte au lavoir pour crémer mes pieds. Mes jambes sont de plus en plus tendues avec les oedèmes, et ça devient pénible. En désespoir de cause je quémande du Daflon aux villageois, on ne sait jamais, mais personne n’en a. Le groupe de Karine en profite pour passer.
Le sentier suit une petite route qui monte au col de Pause au milieu des estives. Je suis face au mont Valier. La descente se fait au milieu des troupeaux de moutons, bien raides, avec quelques pierriers à franchir. Je traverse le torrent sur une passerelle, et le chemin continue tranquillement en le longeant, et se prolonge par une petite route, avant de rejoindre une départementale, qu’on quitte rapidement pour remonter vers le village d’Aunac, où se trouve le CP9, km 321. Pendant tout ce temps, je cogite, pour arriver à la conclusion que je ne peux pas être à la barrière horaire de Bagnères de Luchon, le mercredi à 12h, nous sommes lundi, et c’est stressant. Impossible, même en ne dormant pas, déjà que je n’ai pas dormi beaucoup ces derniers temps. Je savais que les barrières horaires de la course allaient être une de mes difficultés. Je prends mon parti de maintenir le rythme au maximum et de continuer en rando normale quand ça coincera, tant que l’état de mes pieds le permettra.
Je fais part de cette préoccupation aux autres coureurs à Aunac, et ô surprise, le papier de l’organisation que j’ai est erroné, confirmé par Cyril. Il faut viser jeudi à 2h. Voilà qui change tout. Du coup je prends le temps de faire une sieste d’une heure dans une grange où je suis toute seule sur la paille, quel bon matelas. Je suis néanmoins importunée par les mouches, bien que je vienne de me laver. Il y a du matériel d’équitation, cela me fait bien envie, mais je ne suis pas là pour ça.
Je prends un bon repas avant de repartir à 18h, ragaillardie, et j’embarque même 2 gros sandwichs, une fois n’est pas coutume, que je suis prête à porter pour la nuit qui s’annonce, tellement je suis soulagée de la prolongation qui m’est accordée, et normalement il n’est pas prévu de ravitaillement au prochain CP. Jodi mon nouveau copain malaisien arrive. Il a une cheville bandée et me dit qu’il arrête là. Karine arrive à son tour.
Je monte au col de la Core, où j’arrive à 23h. Il y a deux balisages du GR. Lequel faut-il prendre ? La carte indique à gauche par les crêtes, le GPS indique à droite par les lacs. Voilà qu’une voiture providentielle arrive dans la nuit et s’arrête à mon niveau. C’est un éleveur qui patrouille car on lui a tué plusieurs veaux les nuits précédentes, et il est très inquiet de voir plein de lumières cette nuit dans la montagne. Non non, ce n’est pas nous. Il m’indique le chemin des crêtes. Il y a une tente au col, que je n’avais pas vue, et en sort une dame que j’ai dû réveiller en parlant fort et elle me confirme le chemin des crêtes.
Le sentier est à flanc de montagne, et a l’air de dominer une vallée, dont je vois les lumières des villages tout en bas. Je reste vigilante car il y a vraiment beaucoup de pierres. J’arrive à un étang, à l’heure de manger, et je déguste mon sandwich au bord de l’eau avec les crapauds, sous un ciel étoilé, c’est féérique avec la lampe éteinte. La pause est courte et je repars pour la descente. Le jour se lève, j’atteins le CP10 à la maison du Valier, km 350, de l’autre côté du mont Valier. Encore une nuit de passée dehors. Et bonne surprise, il y a à manger. C’est une équipe suédoise qui tient le ravito, très sympathique.
Petit somme d’une heure sous la tente, pour repartir à 9h.
Je passe dans la vallée suivante. Je retrouve sur le sentier en montée la dame d’hier soir que j’ai tirée du sac de couchage. Elle assiste un groupe de coureurs. Il y en a un avec elle qui a abandonné et qui a retrouvé assez de punch pour l’accompagner. Ils m’encouragent à fond. Je ne la reverrai plus. Tous ses copains auront rendu l’âme ? Je vais beaucoup plus vite qu’eux et passe devant. Dans tout ce coin, les altitudes des cols ne dépassent pas les 2000m et se franchissent aisément. Je recalcule ma vitesse par rapport à la barrière horaire de Bagnères, mais rien à faire, ça ne passe toujours pas, même avec la rallonge découverte à Aunac. Je tente néanmoins le coup de faire mon possible pour y arriver le plus vite possible. Je rejoins le village d’Eylie d’en Haut en début d’après-midi. Un groupe de randonneurs papote sur le pas de la porte du gîte où je fais le plein d’eau et je soigne mes pieds, ils sont ravis de me tenir compagnie.
Ca monte de nouveau, assez raide, au milieu des vestiges d’un téléphérique utilisé par les mines. Heureusement qu’il y a les petites fleurs colorées pour égayer ces épaves métalliques, très laides.
Je passe sur l’autre bord, pour suivre un large chemin tout plat à flanc de montagne, que suit une ligne électrique. Je préfère admirer le paysage que je surplombe, et j’en loupe le changement de direction qui monte. J’arrive à l‘entrée d’un tunnel fermé, je ne vois plus les marques du GR, donc demi-tour, je ne suis pas loin. Et justement, en voilà un paquet de marques dans les cailloux. Je veille à ne pas prendre celles qui mènent en Espagne. J’arrive aux bâtiments en ruine d’une mine, c’est sinistre. J’attaque un petit bout de montée raide et je retrouve avec plaisir la nature, un groupe de jeunes a planté la tente pour la nuit, et j’arrive à la Serre d‘Araing, à 2200m d’altitude. J’ai le droit un a magnifique coucher de soleil, les sommets se parent de rouge avec tous ces cailloux, c’est magnifique. Je redescends vers l’étang d’Araing, la nuit tombe. Je traverse le barrage et il y a une petite montée dans les rochers vers le refuge d’Araing que j’aperçois, mais il y aussi une arrivée de nuages à traverser. Impossible de voir les marques dans cette purée de pois, je dois me diriger au GPS.
Le gîteur m’accueille à bras ouverts et me propose de faire une halte. Je n’en avais pas l’intention, mais il n’y a qu’une cabane plus bas, qui sera très difficile à trouver de nuit. Je suis donc sagement ses conseils, il héberge déjà quelques coureurs, et je vais dormir 3 heures. Je me retrouve toujours avec le même problème quand je m’allonge, mes jambes gonflées deviennent douloureuses, et c’est encore pire si je les surélève. En plus de la sensation de froid qui arrive, et je m’enfouis sous 2 couvertures.
Je repars à 2h du matin, le ciel est dégagé maintenant, et le col d’Auréan est vite atteint après une grimpette dans les gros cailloux. C’est parti pour une longue descente nocturne.
J’entends des gros aboiements, et je vois de nombreux yeux brillants dans la lumière de la lampe. C’est attirant et je manque de quitter le sentier. Il y a plein de moutons, et 2 énormes patous, les chiens des Pyrénées, qui les gardent. J’aime bien les chiens, mais je voudrai passer sans encombre, et eux de leur côté, ils font leur boulot qui est de m’empêcher d’approcher de leurs moutons, qui sont confortablement installés au milieu de mon chemin. Heureusement, les moutons daignent bouger, et les chiens les suivent. Le chemin est libéré. J’abandonne les yeux phosphorescents sans regret.
Plus bas, je traverse un torrent à gué sur de gros rochers, puis un plateau très humide, histoire de maintenir les pieds au frais, et de raviver les frottements. Au lever du jour j’arrive au beau village de Melle, les gens se réveillent, je demande mon chemin car il y a 2 passages possibles et je prends celui qu’on me conseille et qui n’est pas celui de la carte. Le monsieur qui me renseigne est persuadé que je veux passer la frontière, mais non, pas du tout ! Je continue de descendre jusqu’à la petite ville de Fos, dans la vallée de la Garonne, par une route en lacets qui rejoint la nationale. Fos n’a rien d’extraordinaire par rapport aux petits villages montagnards traversés jusqu’ici.
Le GR fait le tour de Fos, je préfère prendre la rue principale toute droite qui mène au CP. Mais je ne vois rien. Mon GPS indique que je l’ai dépassé depuis 500m. Je reviens sur mes pas jusqu’à l’indication du GPS, c’est l’église, il n’y a pas trace d’un CP. Je repars vers la mairie, qui est encore fermée à 9h. Ca fait 1/2h que je tourne en rond, la rue est déserte, il n’y a personne pour me renseigner, quand j’aperçois un coureur qui traverse la route. Je tournais le dos au CP et je ne pouvais pas voir la flèche jaune ni la flamme de la course. Ah c’est malin de ne pas arriver par le bon côté, je suis un peu énervée, mais je l’ai trouvé ce CP11, au 391° km, juste décalé de 500m par rapport à ce qu’indique le GPS.
Je suis accueillie par Dominique qui a retrouvé un peu de forme et qui accompagne Patrice de temps en temps, et par Denis qui a fini par se prendre les pieds dans ses bâtons et a dû abandonner suite à une belle chute, le genou et la cheville ont doublé de volume. Ah, ces réunionnais qui ne savent pas utiliser les bâtons ! Un autre abandon s’est enrôlé comme bénévole cuisinier. Il m’apprend que l’étape de Gavarnie est raccourcie de 30km. Dommage, je suis venue pour voir Gavarnie. Je me restaure et fais une sieste d’1/2h sur de confortables tapis de gym.
Au moment de repartir, je croise Géraldine que je ne connaissais pas encore. Elle a aussi dormi au refuge d’Eraing.
Je longe les berges de la Garonne canalisée, ça change des torrents de montagne, avant d’attaquer une rude montée dans la forêt. J’y rattrape un coureur qui vient de se perdre. Pour une fois que ce n’est pas moi, et j’ai trouvé le balisage facile à suivre à cet endroit. Il est dépité de sa mésaventure, il a du mal à s’en remettre. On fait un bout de chemin ensemble, sur une bonne piste maintenant, avant que je l’abandonne derrière. Le sentier suit la crête, frontière avec l’Espagne, territoire des troupeaux de vaches et de moutons. La vue est magnifique sur les montagnes environnantes depuis le col Peyrehitte à 2000m d’altitude, et j’en profite pour une halte noix de cajou. Je double plusieurs groupes de coureurs, dont pas mal de boiteux et d’éclopés. La plupart ont l’intention d’arrêter à Bagnères. Je papote avec un nouvel Alexandre, nous avons des connaissances coureuses communes. Il arrêtera à Bagnères.
La descente se fait sur une large piste, sans difficulté, toujours avec une belle vue. Je traverse les pittoresques villages d’Artigue, Sode, et Juzet avec son lavoir, tout fleuri et surplombant la vallée de Bagnères de Luchon. Maman m’y attend depuis plusieurs jours.
Je contourne l’aérodrome par un chemin piéton, très animé. Je vois la base de vie installée sur le bord de l’aérodrome, en face. Maman vient à ma rencontre. Nous sommes le mercredi 27 juillet, il est 19h, j’ai 7h d’avance sur la barrière horaire. Heureuse ! Avec 418 km au compteur, je suis à la moitié de mon périple.
Il y a du peuple à la base, je pointe et je n’y reste pas, maman a dégoté une chambre d’hôte en plein centre de Bagnères, à 50m du GR. Qui dit mieux ? Elle me fournit un stock de Daflon, qui s’avère efficace, mes jambes dégonflent immédiatement. J’en prendrai désormais toutes les 6 heures jusqu’au bout, et l’œdème ne sera plus qu’un mauvais souvenir. J’en profite pour souffler, une bonne douche, une grande désinfection des pieds, je dois toujours vider les ongles et les ampoules sur les côtés, un bon repas de spécialités locales, et je m’octrois une nuit de 6h. Je suis contente d’avoir retrouvé un rythme normal de sommeil la nuit, il faut que j’arrive à le maintenir. C’est plus réparateur que de dormir de jour. Je m’endors sous une énorme couette, bien qu’il ne fasse pas froid du tout. Je me lève à 3h du matin pour repartir, trempée de sueur, ce qui ne m’a pas réveillée du tout.
Je quitte ce lit douillet pour monter, d’abord tout droit dans la forêt, puis dans les pâturages. J’arrive à la station de ski de Superbagnères au lever du soleil, la vue est saisissante sur les massifs de montagnes environnants qui surgissent d’un lit de nuages blancs en contre-bas.
Il y a eu un éboulement sur le GR, il a été détourné et un peu rallongé. Je rejoins le tracé normal de l’autre côté du col de la Coume, à 2200m. J’arrive dans la zone des altitudes plus élevées, du coup parsemée de plus de myrtilles. Mais ce n’est pas le moment de haltes gastronomiques.
Les pierriers à franchir sont nombreux. Ca finit par redescendre vers le col d’Espingo, puis changement de direction vers le nord, pour descendre vers le magnifique lac d’Oô, bien connu des cruciverbistes, et sa non moins magnifique cascade en fond. Le sentier surplombe toute une partie du lac, il y a foison de fleurs, dont de splendides iris bleu foncé. Superbe !
Il y a beaucoup de promeneurs au lac, ça me change de la tranquillité de l’altitude. Je passe le refuge, et ça descend sur une large piste où il y a foule, pour arriver au parking des granges d’Astau, et au CP 12, au km 440, où m’attendent Mireille et Jean-Pierre, les bénévoles d’Oman, toujours la plaisanterie au bec, ça détend.
Ils campent, le CP étant prévu au gîte d’à côté, mais l’organisation ne l’a pas retenu assez longtemps et ils ont été priés de déguerpir. Il ne fait pas toujours bon d’arriver dans les derniers. Ce qui n’empêche pas l’accueil d’être très chaleureux. Il est midi, et j’engloutis une boîte de cassoulet froid bienvenue. Je retrouve Yvan le canadien, et Roberto le sarde arrive à son tour. Au CP, ils ne savent pas combien de coureurs ils doivent attendre, c’est-à-dire combien sont repartis après Bagnères, où les abandons ont été nombreux. C’est ennuyeux pour notre sécurité ! Vu ma longue nuit précédente, je dois être en fin de troupe. En fait nous sommes à peine plus de 80 encore en lice.
Une fois la rivière franchie, ça remonte en forêt, assez raide, avant d’atteindre les pâturages toujours très fleuris, c’est magnifique. Il y a beaucoup de zones de pierriers à passer, avant une bonne descente sur le village de Loudenvielle. Une nouvelle rivière passée, et ça remonte vers le col. Encore une petite montée bien raide en coupant la route carrossable, et c’est la descente vers la vallée. Les villages se succèdent pour arriver au charmant Vieille-Aure, CP 13, km 463. Il est 19h, maman m’y attend. Et c’est Cyril, l’organisateur, qui m’accueille, il est sincèrement content de me voir. Pour ma part, je suis surtout contente de voir le CP. Je pointe, et comme je vais me reposer à l’extérieur, on me demande de revenir pointer quand je vais repartir, dès fois que je ne repartirai pas du tout. Voilà qui sent les abandons à plein nez. Ah non, je ne reviens pas pointer et je continue.
Maman a encore fait fort, j’ai une chambre à côté du GR, et de nouveau un plantureux repas pour me requinquer. J’y dors 4h.
Je repars en pleine nuit, je passe à côté du musée de la mine, ce n’est pas vraiment l’heure de la visite. Ca grimpe bien dans la forêt puis dans les estives, avec vue sur la station de ski d’Esplaube au petit matin, pas très jolie par rapport aux villages locaux, puis avec une zone peu pentue jusqu’au col du Portet, à 2200m d’altitude. Il y a de nombreux randonneurs à cheval, il faudra que je revienne dans le coin pour ça, et en levant la tête, des vautours et des gypaètes me surplombent. Très chouette. Il y a de nombreux chemins pastoraux bien larges. Je passe devant une cabane de berger, le propriétaire fait la sieste à l’ombre d’un rocher.
Je descends au milieu des moutons vers le lac d’Oule, encore un barrage, c’est raide, que je longe sur un bon bout. Je suis dans la réserve de Néouvielle, qui est un massif granitique, complètement différent de ce que j’ai traversé jusqu’à présent. Les gros rochers sont oranges, ça change du schiste gris. Je passe de nouveau un col, je reste en altitude, ente 1800m et 2200m, c’est très agréable, surtout qu’il commence à faire chaud, en passant par des sapinières et des zones herbeuses. Puis je découvre une succession de lacs, et également beaucoup de monde. Il y a plein de sentiers partout, avec des coureurs à la journée. Je longe le lac d’Aumar, en surplombant le lac d’Aubert, c’est tout plat. Pas pour longtemps. J’ai le droit à une rude et heureusement courte montée dans les blocs de granit, et j’en bave. C’est réellement le seul endroit de mon périple où j’ai physiquement souffert. Il fait très chaud, j’éprouve le besoin de me rafraîchir dans le ruisseau que je longe, ce qui est très rare pour moi. J’arrive à un petit lac, que je contourne sur des énormes, mais énormes blocs de granit, c’est éprouvant, avant une dernière montée pour atteindre le col de Madamète, à 2500m d’altitude. Ce sera le point le plus haut de cette traversée des Pyrénées.
J’y fais une pause bien méritée, dans un petit coin d’ombre de midi d’un rocher, j’engloutis mes chips, je soigne mes pieds. La vue est superbe sur les sommets environnants et la vallée qui s’étale devant moi. Un groupe de randonneurs prévoit des orages pour l’après-midi, pourvu qu’ils se trompent. Une dame m’interroge sur la course, elle aimerait beaucoup la faire.
Je prends mon courage à deux mains pour la longue descente qui s’ensuit et qui me prendra tout l’après-midi, d’abord dans des gros pierriers bordant de petits lacs, puis une vallée où l’herbe est rase et où il y a peu de sapins. Le granit implique un paysage très différent, et je suis entourée de sommets qui atteignent 3000m. Le dénivelé à franchir n’est que de 1000m, mais la vallée s’étire vraiment en longueur, j’ai mal aux pieds avec la chaleur, de nouveaux points douloureux apparaissent sous les deux petits orteils. Je me remets difficilement de la montée du matin, le moral est dans les choux. Pourquoi continuer dans cette galère si c’est comme ça ? Depuis le départ, c’est la première fois où je n’éprouve plus de plaisir dans cette aventure. Le CP est encore loin, et il m’apparaît comme un terme. J’ai l’impression de subir cette descente, sans pour autant éprouver de difficulté physique particulière, car en fait le parcours est facile, même s’il paraît longuet.
Pour finir j’atteins sans encombre la station de ski de Tournaboup. Il y a des ânes qui attendent qu’on leur fasse faire un tour. Moi, je continue à pied, en partie sur la grand route, en partie sur une petite route de l’autre côté du torrent. A Barèges, je demande mon chemin car le balisage du GR ne va pas dans le sens de ma carte. On me conseille le nouveau tracé, beaucoup plus court que celui de la carte.
Après avoir traversé le torrent, le chemin est plat, à flanc de montagne, avant de se poursuivre en sentier qui descend pour rattraper la grand-route.
J’appelle maman pour la prévenir que j’arrive. Elle m’apprend l’abandon de Patrice, avec un orteil complètement infecté. Quoi ? Patrice a abandonné ? Et moi qui me plains juste parce que j’ai une overdose des montées, sans autre raison. Certes mes pieds ne sont pas jojo, mais ça reste supportable et ça ne m’empêche pas d’avancer. Ah non alors, pas question de baisser les bras pour si peu. Il faut continuer, les gambettes ! Je lutte contre les pensées négatives, et je sais au fond de moi que je n’arrêterai pas.
Une fois sur la route, je ne poursuis pas sur le GR. Je vois qu’il remonte vers un château, certes la vue sur la vallée de Luz Saint Sauveur doit être belle, mais ça monte. Je reste sur la route, qui, elle, descend. A l’entrée de Luz, je double un groupe de touristes, je marche 3 fois plus vite qu’eux. Ils en restent baba. J’ai rendez-vous avec maman à l’église, très belle, de l’extérieur en tout cas. Ca fait forteresse. Je ne prends pas le temps de faire du tourisme. Nous allons pointer au CP14, j’ai parcouru 510 km, pas si mal ma foi.
La barrière horaire suivante me turlupinant toujours, j’en demande confirmation au CP. Personne ne sait, alors que c’est ma préoccupation principale du moment. Il faut demander à Cyril, qui est pris avec sa télé, il faut attendre. Non, je n’attends pas, et j’engueule tout le monde. Les quelques coureurs présents que je croise régulièrement comme René, en restent bouche bée. C’est la tension de mes pensées négatives qui a besoin d’être évacuée.
Maman veut m’expliquer le chemin pour repartir car il ne faut pas suivre le GR qui va vers Gavarnie. Ce n’est pas le bon moment, et je saute sur l’occasion pour clamer que de toute façon, je ne suis pas sûre de repartir. Ben tiens, je n’ai pourtant pas rendu mon dossard. Et une petite voix au fond de moi me dit que non, il est hors de question d’arrêter.
Je gagne la chambre du gîte où maman est installée, toujours sur le parcours du GR, elle se débrouille vraiment bien maman, à partager avec trois autres randonneurs, ravis de m’accueillir. Ils connaissent le GR10 et mesurent l’ampleur de ma tâche. Ils me laissent la salle de bain, je m’étale, installée par terre pour soigner mes pieds sans tout salir avec l’éosine, qui est tenace. Un de mes ongles d’orteil ne tient plus que par 2 petits points. Je lui mets un petit chapeau pour le protéger, et je n’y touche plus. Quant au gros orteil, j’en ai maintenant un qui est tout rouge et très sensible, bien qu’il n’y ait plus rien qui sorte dessous l’ongle. Ce n’est pas terrible. L’autre ne me fait presque plus souffrir et a l’air de bien se porter. Le bout de mes chaussures commence à se décoller. J’ai prévu, et maman joue au cordonnier et les recolle. Il faut que ça tienne jusqu’au bout. Que de petits malheurs ! J’ai le droit de nouveau à un bon repas, avec toujours des légumes et fruits frais, ce qu’il n’y a pas du tout sur les ravitaillements des CP.
Je me lève à 3h, de nouveau pleine d’énergie. Mes pensées de faiblesse d’hier soir ont disparu. Je prends un copieux petit déjeuner sur le palier, pour ne pas réveiller la chambrée, d’autant plus qu’il paraît que j’ai ronflé très fort. Mais maintenant pour repartir, je suis bien coincée, car je n’ai pas voulu écouter maman hier. Je suis obligée de la réveiller pour qu’elle m’explique la direction à prendre. Ce n’est pas malin. On prend une variante qui nous raccourcit le GR de 30km pour rejoindre Cauterets. Quel dommage ! Il faudra donc que je revienne pour voir le cirque de Gavarnie loupé. Requinquée, j’étais prête à faire les 30km qui y mènent, même s’il ne faut plus dormir pour tenir le rythme.
Après une petite portion de route en direction de la station de ski d’Ardiden, je traverse les villages de Sazos et Grust. Le jour se lève. Le sentier coupe les lacets de la route, avant de passer à côté de la station de ski, et de grimper vers le col de Riou à 2000m d’altitude, loin de ce qui était promis par l’itinéraire initial, 2700m sur les pentes du Vignemale.
La descente est facile vers Cauterets. Je traverse la ville pour rejoindre le CP15, au km 540, sur l’autre rive de la rivière. Les tentes sont installées, il est 11h, je n’en ai pas besoin. C’est plutôt l’heure de manger. Il y a même du râpé pour accompagner les pâtes. Quel luxe ! J’y retrouve René, qui repart avant moi.
Je me passe des services de la sécurité civile, à part leur désinfectant. Arrive un coureur que je n’avais pas encore vu, il faut dire que je n’ai pas été beaucoup dans les CP ces derniers temps. C’est un fana de bière et de pizza. Il s’interroge sur certains coureurs italiens qui vont très vite sans qu’on les voie passer. Ont-ils 4 roues et un moteur les italiens ?
Je pars vers la station de ski de Cauterets, ça monte tout droit, raide. Je passe à côté d’un vieil aqueduc perdu dans la forêt, avant que le relief s’aplanisse jusqu’au lac d’Ilhéou, puis au col du même nom, à 2200m d’altitude. Je suis dans le parc national des Pyrénées, ce qui ne m’empêche pas de goûter mes quelques myrtilles quotidiennes. Je croise là-haut un beau troupeau de moutons, gardé par une bergère. On fait un brin de causette. L’endroit est humide malgré la pente, il faut regarder où on met les pieds pour rester au sec. Je fais une pause chips devant un petit abri en lauzes.
La descente se poursuit jusqu’aux sapins et le lac d’Estaing. Il y a du peuple, et des ânes à touristes. Une dame me fait signe, je l’ai déjà croisée. Elle fait l’assistance de Pierre qui est devant et Marcel, dont je n’avais plus de nouvelle depuis la nuit de Marc. Il n’arrivera malheureusement pas au bout. Elle me propose son aide, une petite place sous la tente, mais je n’ai besoin de rien. C’est tout de même agréable d’être soutenue de la sorte chemin faisant.
Une petite route me mène à Estaing, CP16, et 559° km. Je m’y arrête à peine, maman m’attend au bled suivant. Le GR fait un petit crochet par la droite qui rallonge, je pars par la gauche sur la route. Le bénévole du CP me rappelle pour m’indiquer le droit chemin. Non, non, je prends le gauche. J’ai hâte d’arriver à Arrens-Marsou. Je passe un petit col et plus loin je reprends le GR qui cette fois coupe la route et raccourcit. Attention, il ne faut pas suivre les rubalises, il y a eu une course aujourd’hui dans le coin, et ce n’est pas notre itinéraire.
Je retrouve maman, fidèle au poste, sur le pont à l’entrée du village d’Arrens-Marsou, juste après l’arboretum. Justement à cause de cette course, elle n’a pas pu trouver un logement décent, tout est plein. Elle a donc installé la tente dans un champ à côté du torrent. Pour moi c’est parfait, j’ai un bivouac confortable, de l’eau pour me laver, on a même une table à pique-nique pour manger. Maman préfère me laisser la tente pour moi toute seule pour que je dorme mieux, et elle s’installe dans la voiture. Je me lève à 2h pour partir, et elle finira la nuit à ma place. Elle qui ne voulait pas camper ! Je lui en aurai fait faire des choses. Et elle dormira très bien pour terminer sa nuit. En tout cas, j’aurai bien profité de plusieurs bonnes nuits confortables de suite, et je ne ressens pas de manque de sommeil, ni de baisse de forme physique qui pourrait en découler. J’ai dormi un peu plus que je n’aurai dû.
Je repars de nouveau dans la nuit. Ca monte par paliers et je passe 2 cols successifs, peuplés de moutons et de marmottes pas farouches du tout qui se baladent sur le sentier dès qu’il fait jour. Je les vois enfin, depuis que je les entends ! Yvan le canadien me double dans le début de la descente et me donne des conseils sur l’utilisation des bâtons en descente. Surtout, enlève les dragonnes. J’utilise beaucoup les bâtons en montée, moi qui étais empotée au départ, ça m’aide bien en fait, et je ne les utilise pas en descente mais je les garde en main.
Je croise le GR de la vallée d’Ossau dans un coin très minéral, mais je suis dans la brume du matin et je ne vois pas grand-chose du paysage et du pic du Midi d’Ossau. Dommage. Après une longue descente dans les prairies, j’arrive à la station de ski de Gourette en passant à ma grande surprise devant quelques chalets récents, puis des grands bâtiments très moches. Je n’avais pas percuté que ce serait une station de ski, je m’attendais à un petit village montagnard. C’est le CP17, avec 576km effectués. J’y retrouve de nouveau René. J’ai des nouvelles de Thierry, que tout le monde a cherché pendant qu’il faisait une pause au village suivant de Gabas.
Je repars rapidement, en traversant la station par des escaliers. Me voilà désormais dans le Béarn. S’ensuit une montée bien raide dans la caillasse blanche du calcaire, parsemée de petits lacs, jusqu’à 2500m d’altitude au col de la Hourquette d’Arre, encore un des plus hauts cols de mon périple. La descente est longue avec de nombreux éboulis à traverser, avant d’atteindre la forêt. Je croise une randonneuse qui cherche un pont pour éviter un passage réputé vertigineux. Je ne peux guère la renseigner, et je n’ai eu aucune appréhension sur le chemin normal. J’arrive à la centrale électrique d’Artouste après avoir suivi la ligne haute tension. Je trouve René sur le bord du chemin en train de se changer pour la nuit qui approche. Je n’ai pas ce problème, je suis toujours en collant, je ne transporte pas de short. Je n’ai qu’à mettre le coupe-vent quand la fraicheur de la nuit vient se faire sentir. J’hésite à être sa compagne nocturne, mais j’avais prévu de me reposer un peu avant la prochaine montée toute proche. Je continue donc en cherchant un petit coin de repos. Et je tombe sur une caravane providentielle, certes en piteux état. Je jette un coup d’œil à l’intérieur. Il n’y a pas de porte, mais il y a un matelas. C’est un peu le désordre, mais pas trop sale. Que demander de mieux ? Ni une ni deux, je m’octrois ce petit paradis et je m’installe pour y dormir une heure. René a dû passer devant pendant ma sieste.
J’en repars à la tombée de la nuit. Je passe à côté du village de Gabas qu’on ne traverse pas, et je rejoins le lac de Bious-Artigue par une petite route. Je trouve un ruisseau pour faire le plein d’eau. Quand je prends de l’eau dans les torrents en-dessous des vaches, je la purifie avec des pastilles de chlore, quand c’est au-dessus des vaches je ne purifie pas. Tous ceux qui n’ont pas purifié leur eau ont eu des désagréments digestifs. Une bonne piste longe le lac, qui a l’air très touristique. J’entends clop clop derrière moi. Tiens, des cavaliers un peu en retard qui arrivent à 22h de leur rando. Mais pas du tout, ce sont 2 chevaux libres. Ils me suivent un bout de chemin, agréable compagnie, avec leurs yeux brillants dans la lumière de la lampe. Ils savent très bien où ils vont, contrairement à moi, et s’arrêtent à une source pour boire.
Je monte dans la forêt, de nouveau seule. La nuit, on voit très bien la marque blanche du balisage GR éclairée par la lampe, mais pas du tout la rouge. Il faut néanmoins lancer le faisceau de la lampe au bon endroit et balancer la tête à toutes les hauteurs des fois. D’ailleurs je cherche un peu le chemin sous les pins, dans une rude montée. Je suis sur le sentier des lacs. En tout cas la zone est bien humide. Je dois en longer plusieurs, sans les voir dans la nuit. Et soudain je me retrouve dans la flotte jusqu’aux chevilles, et de l’eau tout autour de moi. Je contrôle ma direction, et sur le GPS, je suis carrément dans un lac. J’ai loupé le sentier qui monte à droite.
J’arrive au col d’Ayous, à 2000m d’altitude. Il est 1h du matin, il y a un refuge à 200m. Le petit détour en vaut la chandelle, j’y vais en espérant une petite place. Comme j’ai bien retenu que dans les refuges, la chambre pour les retardataires est celle du bas, j’en pousse la porte et cherche un coin libre. C’est plein, et je réveille malencontreusement un monsieur qui n’a pas l‘air coureur. Désolée. C’est en haut, me dit-il. Effectivement, c’est en haut. Dans la salle commune, toutes les tables ont été poussées, et le sol est couvert de matelas et couvertures, avec plein de dormeurs. Voilà une bonne organisation ! Je trouve une place de couvertures, une dessus, une dessous et je sombre. J’entends vaguement des gens qui se lèvent, je repère le matelas d’à côté qui se libère et j’y opère une translation. Je dors 3h, et c’est à mon tour d’émerger. J’ai toujours entendu sonner ma montre à l’heure voulue. La salle s’est un peu vidée et j’ai de nouveaux voisins dont je n’ai pas perçu l’arrivée. Mon seul problème est de ne pas savoir comment déposer mon obole pour le toit car je n’ai vu personne.
J’entreprends une longue descente. Le jour se lève sur l’herbe rase des prairies. J’arrive dans la forêt, puis au-dessus des profondes gorges de l’Enfer. Je suis maintenant sur le chemin de la Mâture, qui est plat et carrément creusé dans la paroi de la montagne, longeant le vide. C’est très particulier et très beau. J’arrive à un parking où je fais une pause repas et soin des pieds, sous le fort du Portalet. Je suis installée juste sous le panneau explicatif du chemin. Et voilà qu’un guide débarque avec son groupe et se plante devant mon panneau. Donc j’apprends sans me farcir la lecture des explications que le chemin de la Mâture a été créé pour le transport des troncs destinés à fabriquer des mâts de bateaux.
J’arrive au village d’Etsaut. Je ne m’y arrête pas et traverse la route et le village d’en face de Borce pour une nouvelle montée. Une fois passée la forêt, j’arrive sur une belle crête que je longe, parmi les fougères, les fleurs et… les taons. Ils sont voraces et piquent à travers le collant. Je marche en me tapant sur les fesses pour les tuer. Après le col de Barrancq, la descente se fait dans les pâturages au milieu des vaches, et je débouche sur un superbe plateau bien verdoyant entouré par les montagnes, et le village de Lhers, à 1000m d’altitude. Cela respire la tranquillité, je suis sous le charme.
Le CP 18 et le km 628 m’attendent au camping de Lhers. J’y fais une bonne pause ravitaillement et profite du merveilleux paysage, chouchoutée par les bénévoles. La base de vie n°3 n’est pas loin, je repars dare-dare. Je traverse ce plateau, puis le village de Lescun où j’ai un peu de mal à suivre le GR du premier coup, et la montée en pente douce vers le fond de la vallée. En haut, je passe le pas d’Azuns, petite barrière rocheuse. Devant moi se dressent de grandes dents toutes blanches, qui émergent de l’herbe rase. Je m’y dirige justement, et au pied, je ne trouve pas la suite du GR. Un passage continue tout droit, mais ce n’est pas ça. Qu’à cela ne tienne, il est 19h et les couleurs virent déjà au rose, magnifique sur ce paysage dantesque. Je m’installe pour une pause noix de cajou en m’en mettant plein les yeux sur la petite arête où je suis arrivée, au pas de l’Osque à 1900m d’altitude. Autant en profiter. Quand je pense à tout ce que j’ai fait de nuit et où je n’ai rien vu autour de moi. Un coureur arrive et se fourvoie. Je lui indique l’autre côté du versant, à pic, ça doit être par là. Il me confirme. Ca a l’air très raide et il est inquiet pour moi. J’ai l’air si empotée ? Je le rassure, ça ira. A mon tour, effectivement c’est raide. Il y a des cordes pour descendre, ce qui ne m’impressionne pas du tout. Je continue sur un plateau de lapiaz avec de grandes dalles de calcaire. Quand je pense que c’est truffé de gouffres là-dessous.
Je débarque sur une belle langue de gros graviers. Mais qu’est-ce que c’est ? Une piste de ski bien sûr ! Je ne savais qu’on skiait sur des cailloux dans le Béarn. Je cherche un peu le marquage de l’autre côté. Un autre coureur arrive, on fait un bout de chemin ensemble. Nous rejoignons une route empierrée, et il repère le sentier sur la gauche. Je l’aurais bien loupé celui-là. Il va plus vite que moi et part devant. Je croyais que c’était un petit raccourci ; mais non, c’est assez long avant de retrouver cette route, qui me mène à la station de ski d’Arette la Pierre Saint Martin, 1600m d’altitude. Moi qui croyais que la Pierre Saint Martin était un petit village. La nuit tombe, accompagnée du brouillard, et c’est à la lampe que j’arrive à la base de vie n°3, installée dans un grand bâtiment communal de la station. Et j’ai 5 heures d’avance sur la barrière horaire. Youpi ! Avec tout ce que j’ai dormi en plus dans les Hautes Pyrénées ! Voilà qui est bien calculé, n’est-ce pas. Nous sommes le lundi 1 août, il est 21 heures, j’ai parcouru 648 km. Je n’ai plus qu’à viser la barrière horaire finale : vendredi 5 août à 4h du matin.
Nous dormons à l’autre bout du bâtiment, dans une grande salle de sport au sous-sol avec un côté entièrement vitré, qu’on admire depuis une petite place. Sûrement une salle de pelote basque, je ne suis pas spécialiste en la matière. Je m’installe sur un épais tapis de sol, bienvenu. Nous ne sommes pas nombreux. Par contre il y a plein de gamins au niveau de la vitre, fort curieux. Ca va être difficile de me déshabiller pour aller à la douche devant ce public.
En fait le club d’échec local donne une petite réception. Ils m’invitent à partager les restes de leur pot. Pas de problème. J’enfourne la charcuterie et le fromage local, et je termine le délicieux gâteau basque maison. Il faut dire que je commence à flotter sérieusement dans mon beau maillot rose. J’ai le droit à maintes félicitations et les encouragements qui vont avec.
Ce n’est que l’entrée. Je me dirige vers le ravitaillement de la course, je retraverse le bâtiment. La mairie nous offre une excellente garbure et du fromage de la fromagerie d’en face.
Il y aussi un podologue de la course à Arette. Allons le voir. Il trouve mes pieds pas si mal. Il paraît que nous avons tous les deux ampoules sur l’extérieur du pied. Les miennes sont bien sèches, mais toujours sensibles. Il trouve mes ongles bien soignés, il n’y a plus de liquide dessous. Néanmoins j’en ai un toujours douloureux. Il me fait des popotes sur les 2. Il enlève le chapeau de l’ongle d’à côté auquel je n’ai pas touché depuis plusieurs jours et est satisfait du résultat. Il le remet en place. Il me conseille de faire la même chose sur le petit orteil qui a une bonne ampoule dessous et que je vide régulièrement.
Je vais dormir, René est là aussi. Il repartira avant moi. Quand je me lève à 3h, il y a plus de monde dans la salle. Je n’ai entendu absolument personne. D’habitude je prépare toujours mon sac prêt à repartir en me couchant. Je ne l’ai pas fait cette fois. Je fais donc un boucan du diable à tout remballer dans les plastiques, des fois qu’il pleuve. Désolée pour les dormeurs !
Je prends un bon petit déjeuner avant de repartir. Il n’y a malheureusement plus de garbure. C’est l’équipe suédoise qui est là ce matin, je fais la traduction anglais – français pour le papa de Franck, qui le suit.
Je pars dans la nuit, de nouveau dans le brouillard et un petit crachin. A moi le pays basque !
Après le col de la Pierre Saint Martin, c’est la descente vers le village de St Engrace. Le jour se lève avant la forêt et… voilà Jodi qui surgit et me double à toute vitesse. Il court à gogo, complètement ressuscité. Il l’aura son avion !
St Engrace est un tout petit village, et je lève le nez vers la vieille église que j’admire de l’extérieur. Je continue sur la route, avant de m’apercevoir que j’ai loupé les marques du GR à jouer à la touriste. Il est de l’autre côté du torrent. Comment le rattraper ? Je passe devant une société de rafting, canyoning, spéléo et plus et j’y demande mon chemin. Pas de problème, je vais le rejoindre aux gorges de la Kakouetta, où je suis venue il y a quelques années. Je ne suis pas perdue ! J’aperçois l’entrée des gorges. Je franchis la rivière qui en sort sur le pont de l’Enfer. La couleur de l’eau est turquoise, c’est magnifique.
Ca remonte vers le col d’Anhaou à 1400m d’altitude. Les dénivelés seront de plus en plus faibles désormais, le paysage change, et les myrtilles disparaissent définitivement. Je reste au milieu des pâturages à l’herbe rase, et je coupe régulièrement de bonnes pistes. Après quelques brusques changements de direction surprenants, je suis dans une descente raide, dans les hautes herbes. Ca descend tout droit, jusqu’à rejoindre un sentier de randonnée très fréquenté. Il doit y avoir quelque chose de remarquable vu le nombre de promeneurs, mais quoi ? Nous sommes en limite du parc national. Je ne vois pas de vautours, pas d’ours non plus. Peut-être une belle vue ? Et oui, car c’est plein de canyons par ici, mais je ne le sais pas. Le sentier est maintenant à flanc de montagne, et juste quand je vais doubler une famille, la dame fait plouf, côté vide dans les buissons. En fait en-dessous il y a de magnifiques gorges. Elle n’a pas l’air spécialement sportive et crie très fort. Son mari est là pour lui prêter main forte pour s’en sortir, à priori elle en sera quitte pour une entorse. Je me tire vite fait.
A ma grande surprise, j’arrive à un très beau pont suspendu, qui traverse les non moins belles gorges d’Olhadubi. En tout cas il y a foule, y compris le père de Franck. Il est excité et cherche son fils partout, qui est en retard sur son timing. Non, je ne l’ai pas vu. Je finis par atterrir au Logibar, qui est un gîte et dont je n’arrête pas de voir les flèches.
Je suis bêtement un coureur devant moi, qui s’y dirige directo et s’attable. Mais ils y sont nombreux les coureurs ! Ils se sont donnés rendez-vous ? Certes, il est midi. Je passe, et traverse la route pour rejoindre le chemin normal du GR. J’arrive rapidement sur une crête, le sentier est à peine tracé dans les hautes fougères, royaume des taons qui adorent mes fesses. Le chemin est jalonné de tours de chasse à la palombe. Il ondule de col en col entre les mamelons, toujours en altitude, il y a peu de dénivelé à franchir. Je suis avec quelques coureurs que je n’avais pas encore vus, sûrement les voraces du Logibar, et ils me doublent tous. J’en conclue non seulement qu’ils marchent plus vite que moi, mais qu’ils s’arrêtent beaucoup plus longtemps puisqu’ils sont derrière. Et oui, je pallie ma modeste vitesse de croisière en rognant sur les pauses et le temps de sommeil par rapport aux autres.
Je rejoins une petite route dans la forêt qui m’amène aux chalets d’Iraty, station de randonnée à 1300m d’altitude. La nuit ne va pas tarder à tomber. Jean-Pierre et Mireille, les bénévoles d’Oman, m’attendent au CP19, au km 697. Nous sommes dans un chalet, un vrai lit m’y attend, et Mireille m’en a gardé un en bas des lits superposés. Pas de grimpette à effectuer. Quelle chance !
Les bénévoles s’organisent pour la nuit, chacun son tour. En tout cas, ça brille. La serpillère est de sortie, ce qui n’est pas du luxe avec nos traces de chaussures pleines de boue, puis de pieds nus car nous avons tous la même envie : enlever ces pompes !
Je repars dans la nuit après 4h de sommeil, comme d’habitude. Je suis vite rattrapée par un petit groupe, je tente de les suivre un moment, ça m’évite de chercher le chemin dans le brouillard, mais ils sont plus rapides. Je suis de nouveau seule sur la crête. Le chemin va tout droit, tellement droit que je ne vois pas dans les hautes herbes qu’il faut tourner à gauche. Je descends dans une forêt avant de me rendre compte de mon erreur. Le jour se lève quand je reviens sur mes pas. Le virage que j’ai loupé est pourtant évident, du moins de jour. La brume se lève en même temps. Le chemin est jalonné de cromlechs, puis c’est la descente tout droit. Un coureur apparaît derrière moi, et il court. Mais c’est une coureuse ! C’est Karine. Ca fait un bail que je ne l’avais pas vue. Ses pieds sont guéris, elle peut enfin courir et s’en donne à cœur joie dans cette belle descente. Et les miens ? Ils ne sont pas guéris, mais je pourrai courir si j’en avais envie. Néanmoins je suis bien dans mon rythme de marche, je profite du paysage, et je ne suis pas spécialement pressée d’arriver.
Je croise quelques troupeaux de moutons avec leur berger, qui est souvent une bergère. Je tombe en extase sur l’un d’eux, en surplombant le travail du chien qui déplace le troupeau dans un rond parfait. Dans la lumière du jour naissant, c’est saisissant. Je passe devant une ferme : ici vente de fromage ossau-iraty . Je n’avais pas du percuté que le village d’Iraty où je viens de dormir quelques heures, c’était l’Iraty du fromage.
Je croise de nouveau la tente de l’assistance de Pierre, tout le monde dort. La descente se poursuit, moitié en sentier, moitié en petite route. Je croise quelques groupes de randonneurs. J’arrive au village d’Estérençuby, et oui, c’est l’immersion dans les noms basques maintenant, et je passe ceux des fermes isolées que je croise. Après l’église, une dame m’indique la suite du GR10, le sentier grimpe. Mais sur ma carte, j’ai l’œil sur la petite route qui mène directement à St Jean Pied de Port, sans faire un détour que je juge inutile par la montagne. En longeant le torrent, c’est facile et bucolique. Je double un coureur qui a visiblement eu la même idée que moi, il est épuisé. Il sort de son sac un énorme paquet de dates et m’en offre. Quelle idée de porter ça ! J’arrive au village de St Michel. Que les villages basques sont beaux, avec leurs maisons dont toutes les boiseries sont peints en rouge. Pas une ne manque à l’appel. Et je rejoins le GR10 à Caro, et quelques coureurs qui viennent du bon itinéraire, dont Jérémie.
St Jean Pied de Port n’est plus loin, et mes parents m’y attendent. Maman vient à ma rencontre, et nous retrouvons papa à la vieille porte d’entrée de la citadelle. J’ai parcouru 733 km. Je reconnais immédiatement la vieille rue, dans laquelle se trouve le CP20. Le GR10 croise le chemin de St Jacques de Compostelle, je suis une habituée de St Jean Pied de Port ! Je pointe rapidement. Un coureur me rappelle par la fenêtre, c’est bon j’ai déjà pointé ! Maman a trouvé une chambre au cœur de la vieille ville, le long du GR. Il est midi et un bon repas m’y attend. Je profite de la salle de bain, mes vêtements rincés vont sécher dans l’escalier. Je mets un petit chapeau à mon petit orteil comme me l’a conseillé le podologue de la Pierre St Martin. Après 1h de sieste, je repars pour la dernière ligne droite. Hendaye paraît maintenant à portée de main, ou du moins de jambes ! Papa vient de passer quelques jours chez son cousin, missionnaire à la retraite. Toute la maison de retraite des pères blancs prie pour moi. Je ne peux que réussir !
Mes vêtements sont encore humides, et vu la chaleur, ça fait du bien. Les parents m’accompagnent un bout, papa me lâche le premier et maman vient jusqu’à l’église de Lasse. Prochain rendez-vous : Hendaye !
Le chapeau de mon petit orteil me fait carrément souffrir, je l’enlève vite fait. Il est nul le podologue ! Je me tape aussi un panari à l’index, que je n’arrivais pas à percer, et voilà qu’il éclate tout seul. Ca me soulage d’un coup. J’en ai un autre au pouce en train de se former. Je repars d’un bon pied pour une montée très raide, sur une trace dans les hautes herbes qui raccourcit le large chemin en lacet. Je ressens la forte chaleur, et je garde en permanence l’embout de la poche à eau en bouche, pour siroter pratiquement en continu. Je n’ai jamais eu à faire ça ! Mes bâtons me sont d’une aide précieuse dans la grimpette et je ne pourrai plus m’en passer. Je passe aux 3 abreuvoirs, puis ça remonte tout droit dans les pâturages à moutons jusqu’à l’antenne du sommet du Munhoa. Le vue environnante est très belle sur les sommets basques arrondis et verdoyants. Après la descente du mont, ça remonte vers une crête qui longe la frontière espagnole. La nuit tombe, et le brouillard avec, qu’accompagne rapidement une pluie fine. Ca change de la chaleur d’il y a quelques heures. Ma casquette me gêne sous la capuche avec la lampe, et je préfère l’enlever. Grosse erreur, mes lunettes récoltant gouttes et buée. La visibilité devient rapidement nulle, je ne vois pas plus loin que mes pieds. Je suis dans un immense pierrier de gros rochers, il n’y a plus de chemin du tout, et je ne vois pas la marque suivante du GR. Je perds beaucoup de temps à chercher un chemin, lever la tête pour tenter d’apercevoir une marque plus haut ne sert à rien. Je ne me dirige qu’au GPS, perdant puis retrouvant les marques. Je me tape comme ça un premier pierrier, puis un deuxième, puis un troisième. Heureusement, l’altitude n’est pas très élevée et il ne fait pas froid, mais ma progression dantesque me demande beaucoup d’énergie et une concentration permanente. Entre deux pierriers, je traverse des zones humides, mais mes chaussures trempées ne sont plus à ça près. Ca a l’air sans fin, tandis que le brouillard et la pluie redoublent.
Ca commence à redescendre. Je passe devant une espèce de petite caverne sous les rochers, le seul endroit abrité du coin ? C’est bien possible. J’en profite pour manger. Est-ce que je m’y arrête pour dormir et attendre le lever du jour ? Non, je prends mon courage à deux mains et je préfère continuer à la vitesse d’un escargot, c’est toujours mieux que rien, ne ressentant pas d’envie de dormir. Allons-y de bon coeur !
Je reprends donc ma progression, quand Jérémie l’américain surgit dans la nuit. Il va beaucoup plus vite que moi, mais c’est l’aubaine à ne pas laisser passer. Il a une bonne technique, une lampe sur la tête, une lampe à la main et le GPS dans l’autre main. En tout cas, il trouve le passage qu’il faut. Je me démène pour ne pas le lâcher et je le suis comme un petit chien. Il me demande de temps en temps de contrôler la direction sur mon GPS. Il me dit que les coureurs derrière, dont Géraldine, ont bivouaqué sous la pluie, en désespoir de cause. Alors j’en conclue que ma volonté de continuer a payé.
Nous croisons 2 filles qui montent, qui surgissent en plein brouillard. J’ai d’abord cru qu’elles partaient secourir quelqu’un. Mais pas du tout. Ce sont deux copines de Géraldine qui partent la rejoindre. Elles espèrent qu’elles passeront la ligne d’arrivée ensemble dans les 24h. Quelle utopie de parisiennes, car elles viennent de débarquer de Paris. Je remets leur pendule à l’heure. Pour l’instant, Jérémie et moi sommes pressés de repartir. Nous atteignons la forêt et l’altitude décroit bien. Nous voici enfin à St Etienne de Baïgorry, CP21, 750° km, peu avant le lever du jour. Mais peu m’importent les km présentement. Me mettre au sec et dormir, c’est tout ce que je demande. La dame qui m’accueille me demande si je suis Géraldine. Et bien pas du tout, je suis Isabelle.
Je trouve la salle vraiment crade, de la boue partout, des bassines d’eau sale et la table pleine de restes de repas. En plus, il n’y a plus de gaz pour nous faire un repas chaud. J’enfourne tout ce qui me tombe sous la main, mélangeant sucré et salé, les céréales au chocolat et le saucisson. Une fois mes pieds soignés, je me dirige vers le dortoir. Il s’agit de la salle de trinquet. Elle est immense, et 3 coureurs y dorment à un bout. Je m’installe à l’autre bout, à même le sol en béton, la tête sur mes ravitos, je m’endors immédiatement.
Quand je me réveille, il fait grand jour et je suis seule dans cette salle immense. Ca fait un drôle d’effet. Pendant mon somme, le réfectoire a été briqué et est impeccable. C’est plus accueillant. Je prends mon ptit déj, céréales au chocolat + saucisson pour changer. On attend toujours Géraldine, mais ses copines sont là. Elles ont abandonné peu après nous avoir croisés. Alors je confirme, ma volonté a payé, et j’en suis très fière. En tout cas elles ont compris que la ligne d’arrivée ne sera pas pour ce soir.
Je repars à 9h, revigorée. Il fait beau maintenant.
Je monte vers la frontière espagnole, que je suis pas mal de temps sur une longue crête, avec une belle vue vers le pic d’Anie derrière et… la mer devant ! Déjà ! La chaleur est plus supportable qu’hier. Je suis au milieu de nouveaux sympathiques compagnons : les pottoks, ces poneys basques tachetés, ce qui me ravie. Les moutons évidemment sont toujours là. Est-ce la période des ventes ? Ils sont parfois rassemblés dans un enclos, avec du monde qui les examine sous toutes les coutures.
C’est déjà la descente sur Bidarray. Je traverse le village et remonte de l’autre côté de la vallée. Le CP22 m’attend, installé dans la dernière maison privée, au km767. Il est midi, et c’est le dernier pointage avant l’arrivée ! Youpi ! Cécile, bénévole, m’accueille, elle attendait avec impatience la coureuse réunionnaise. Elle a fait la Diagonale des fous presqu’autant de fois que moi, ce qui n’est pas peu dire. Je m’installe à l’ombre sous une tente dans le jardin pour dévorer un gros plat de pâtes. Karine aussi est là, bichonnée à souhait par toute une bande bruyante.
Cécile m’offre un lit picot dans la cave pour 1/2h de repos. J’ai le temps, je prends. Je partage la cave avec Jérémie qui a la même envie que moi. Je me prépare à repartir quand le père de Franck arrive. Il cherche encore son fils bruyamment. Et tout le monde attend Géraldine. J’entame donc la dernière étape longue de 70km pour l’arrivée. Le paysage que je traverse est ondulé et ne présente pas de difficulté particulière de jour, les cols se succèdent entre 700m et 500m d’altitude avec vue sur l’océan et les crêtes suivent de nouveau la frontière espagnole, au milieu des poneys et des cromlechs. Facile ! Je descends au village d’Aïnhoa. Je double un italien écroulé sur le bord du sentier, prêt à rendre l’âme. Il veut abandonner, si près du but. Pour finir il ira au bout. Au village, ses amis qui le suivent me proposent un énorme pain au nutella, immédiatement englouti. Puis je tombe de nouveau sur l’infatiguable père de Franck. Son fils a toujours du retard sur l’horaire prévu. Je serpente dans la vallée, traverse quelques hameaux. Je demande de l’eau à un monsieur, en fait il y a une fontaine juste après, ce n’était pas la peine de le déranger. Il a vu passer une autre fille peu avant, elle courait. C’est Karine à coup sûr. Le chemin est très agréable jusqu’au village de Sare et ses airs basques, ruisseau et petits escaliers parsemés de charmants oratoires.
A la sortie de Sare, je tombe sur les organisateurs qui m’attendaient et m’offrent des fruits frais. Ils en profitent pour me pointer. Est-ce un contrôle anti–triche ? Les bruits courent parmi les coureurs que les italiens aiment bien les voitures. D’ailleurs où est passé Roberto qui était toujours derrière moi ? J’ai oublié son existence. Il paraît qu’il est maintenant loin devant…
A la sortie de Sare je trouve un petit endroit plat dans les herbes, parfait pour une sieste d’1/2h avant la dernière montée. Je reprends la route vers 17h, et la pluie s’invite après quelques pas. Quoi ? Je vais replonger dans une nuit d’enfer ? Mais c’est la dernière, j’y vais gaillardement, vers la montagne de la Rhune. Je vois passer le petit train jaune vers le sommet, dans un boucan de ferraille bringuebalante. Je traverse la voie et j’arrive au col des trois fontaines, où la pluie s’intensifie. Est-ce le dernier col ? Quelques promeneurs sont sur le chemin du retour, il y a plein d’anglais, je double tout le monde, les pieds trempés dans les flaques.
Je rejoins la vallée, je croise de nouveau le père de Franck, toujours à l’affut, je déguste mon dernier paquet de chips, et… ça remonte. Je ne m’y attendais pas. La nuit tombe, et le brouillard pluvieux avec, bien que je ne sois pas haut du tout, 400m. La visibilité est rapidement réduite. Je croise une campeuse, elle fait la Pastourale, la petite sœur de la Transpyrénéa. Quelle drôle d’idée de s’arrêter dormir si près du but. Je passe juste à côté du poste frontière, et ça remonte de nouveau. Je ne trouve pas le départ du sentier, je dois demander à un gardien, dans la nuit. Il n’a pas l’air étonné de me croiser, il a dû voir passer quelques lampes ces derniers jours. Et c’est reparti pour le sentier, sans rien voir. Après un petit replat, je ne trouve plus les marques du GR, rien à faire, et pourtant le sentier est bien tracé, mais dans cette purée de pois... Le GPS m’envoie à gauche. Alors à gauche, à gauche. Ah ça y est, je les retrouve ces marques. Au bout d’un moment, je préfère contrôler ma direction sur le GPS, et là, ô surprise, je suis sur la trace où je suis déjà passée. Je n’en crois pas mes yeux. J’ai fait un demi-tour complet et je me dirige droit vers la Méditerranée ! Heureusement, je n’ai pas été trop loin. Je reprends mes esprits et me remets dans la bonne direction. Je reviens à l’endroit fatidique de mon fourvoiement, de nouveau à gauche toute, et cette fois je trouve le bon sentier. Je n’ai plus qu’à descendre définitivement. Je sors des nuages, et je vois les lumières d’Hendaye et toute la côte. Ma fois, j’ai encore une petite trotte à faire, une dizaine de km.
J’arrive à Biriatou en croyant être dans les faubourgs d’Hendaye. Le GR et le GPS ne donnent pas la même direction. Je suis bonne pour faire demi-tour une fois de plus. Tout ça me fait perdre pas mal de temps et je vois l’avance sur la barrière horaire de l’arrivée de 4h du matin fondre comme neige au soleil. Franck surgit derrière moi avec son fils de 10 ans. Nous décidons de faire route ensemble jusqu’à l’arrivée. Il veut absolument ne pas dépasser la barrière horaire, et se met à courir. Je le suis sans problème, pas de douleur aux pieds ni lassitude. Il est plus rapide que moi en montée et je vais plus vite en descente, mais je dois me forcer pour le suivre. Nous sommes de nouveau dans la campagne, et pas du tout dans les faubourgs d’Hendaye. En traversant une route, nous perdons le fil du GR. Franck engueule son fiston qui n’a pas été capable de suivre les marques. Bon, l’ambiance me plaît moyen. Je décroche dans la dernière montée, et je n’ai plus qu’à traverser Hendaye seule. J’abandonne la course et reprends une marche rapide, toc toc au rythme de mes bâtons en pleine nuit.
Je longe l’embouchure de la Bidassoa, retraverse une petite portion du centre ville, et j’atteins la plage, que je longe sur la promenade piétonne. Encore 2km, et j’y suis, je vois la flamme de l’arrivée. Il est 4h20 en ce matin du vendredi 4 août, il pleut, et je viens de parcourir 836km en 17 jours. C’est fini.
J’y suis 3 jours après le premier.
Cyril m’accueille, je suis d’un calme olympien. Contrairement à Franck que toute sa famille fête. Ils partent rapidement. On me colle un demi gobelet en plastique de champagne chaud dans les mains, alors que j’aurai voulu une chaise, mais il n’y en pas. Et quelque chose à manger peut-être ? Car avec le champagne chaud, je vais m’écrouler raide morte. Non, il n’y en pas. Il faudrait peut-être me pointer ? Ah oui, on avait oublié. Il y a un coureur italien transis sur un fauteuil trempé. Il me dit qu’il est fatigué, qu’il veut dormir, mais comme Cyril lui a dit d’attendre, il attend. Depuis combien de temps ? 2h. Ah lala ! Je l’embarque avec moi, allez suis-moi, et je trouve une tente de l’organisation libre parmi les 3 qui sont là. On se la partage.
Je vais prendre une douche au yacht-club qui nous accueille. Il y a un gros panneau « Hommes » sur la porte des sanitaires. Je fais le tour du bâtiment pour trouver un « Femmes ». Peine perdu, il n’y en a pas. J’atterris donc chez les hommes. Je suis seule, ce n’est pas gênant et j’y prends mes aises. Puis je fais un tour dans la salle de l’organisation. Tout le monde dort. Je fais une razzia sur ce que je trouve à me mettre sous la dent.
Le repos est bienvenu sous la tente. Je me réveille à 8h, et part en quête d’un petit déjeuner. Je ne suis pas la seule à glaner de nouveau les restes de l’organisation. Pendant ce temps, mes parents sont arrivés. Ils ont récupéré mes quelques affaires sous la tente, car il n’y a plus de tente. Les gendarmes ont tout fait enlever. Sympa pour ceux qui doivent encore arriver !
Bilan de ma petite virée : 3 ongles de pied et 4 kg en moins, 17 nuits dehors. Ca monte, ça descend, il fait jour, il fait nuit, ça pourrait paraître monotone ! En outre on peut vivre sans matelas, et je suis devenue experte dans l’utilisation des bâtons. Mais surtout je m’en suis mis plein la vue, des sommets aux petites fleurettes, ah ce chardon bleu ! En passant par les bestiaux en tout genre. Quelle magnifique chaîne de montagnes que les Pyrénées ! Et une nouveauté pour moi pas toujours agréable : la gestion des barrières horaires.
J’ai juste une grosse envie de dormir et une faim dévorante. Il me faudra une semaine pour récupérer et être d’attaque. Et je me réveille toutes les nuits en voyant un sentier devant moi : allez debout, il faut y aller ! Mais non, tu es dans ton lit, tu peux dormir.
Je vais montrer mes petons à mon podologue, il les trouve très bien soignés, il n’a plus rien à faire. Néanmoins la plante va peler pendant un mois, me donnant des pieds de bébé.
En attendant, lundi, au boulot !
Prochaine étape : le trail de bourbon dans 2 mois et demi, fastoche !