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3 juin 2006 6 03 /06 /juin /2006 15:14
Découverte d'un autre monde

Mercredi 4 mai 2005 , le boeing de Air Madagascar se pose sur le petit aéroport de Fort Dauphin, après 1h40 de vol sans encombre depuis St Denis de La Réunion. Je retrouve avec plaisir Jean-Marie Daval, l'organisateur de la course et nous nous engouffrons dans un taxi. Ambiance : la 504 Peugeot brinqueballant sur la route défoncée, nous découvrons petit à petit un autre monde, une autre époque. Pas d'erreur, nous sommes bien en Afrique. A l'hôtel « Kaleta », style année 50, nous prenons possession d'une chambre confortable, avec vue sur mer. Il y a un peu de vent, il fait beau et la température ne dépasse pas les 25° en ce début d'hiver.

Nous partons à la découverte de la ville, guidés par deux « marmailles ». J'avais ma petite idée de Madagascar, mais ce que je découvre là, je ne pensais le voir qu'à Tananarive, la capitale, ou dans d'autres grandes villes. Mais non, la misère est là aussi, bien présente, dans cette petite ville de province. Bien que séparé du continent par le canal du Mozambique, nous sommes en fait en plein cœur de l'Afrique, avec tout ce que cela suppose de pauvreté, de misère, de survie quotidienne.

Les enfants nous font découvrir le marché : poissons, légumes, riz, grains, viande de zébu. Toutes ces richesses, et pourtant quelle misère ! Tout le paradoxe de Mada est là sous nos yeux, dans ce petit marché, dans ces ruelles grouillantes de crèves-la-faim en haillons qui nous interpellent « wasa ! wasa ! » Nous avons changé quelques Euros contre de grosses poignées de billets avec lesquels nous pourrions acheter de quoi nourrir une famille pendant quelques semaines…


Cet homme vient de faire 40 Km à pied, pour vendre ses poissons au marché, mais il sourit, il est vivant et bien portant.

Des taxis-brousse attendent les voyageurs qui feront pour certains 2 ou 3 jours d'un long voyage sur les pistes défoncées.

Jeudi 5 mai  : nous retournons visiter la ville et ses environs, en attendant l'heure du breefing prévu pour 18h.
La course

Je l'avais presque oublié, mais je suis là pour courir. Ça me semble tellement dérisoire et futile, maintenant… Je retrouve quelques coureurs amateurs de ce genre d'aventures : Gérard Finistre, rencontré à Mayotte l'an dernier, Benoit Mino, qui était en Mauritanie en 2003, et quelques coureurs Réunionnais rencontrés sur les sentiers ou clients de ma boutique. Il y a aussi René Heintz, qui a fait toutes les plus grandes courses du monde, du Niger au Népal en passant par la Mongolie.

Nous serons 46 au départ, dont une quinzaine de Malgaches. L'organisateur nous indique tous les « pièges » que nous allons rencontrer et le déroulement de la course. Après une excellente soupe de légumes et un gros steak de zébu, je monte me coucher. Réveil prévu à 1h, départ de la course à 3h. J'ai du mal à m'endormir, et ne ferme pratiquement pas l'œil durant cette dernière et courte nuit.

Hors d'œuvre : 36km de piste

« toc toc toc ! Joël ! debout, t'es en retard ! » C'est Solange, de l'équipe organisation qui tambourine à ma porte.

« hein ? euh, oui, j'arrive » Je regarde l'heure : 2h15. Finalement, je me suis un peu assoupi… Mon sac de course est prêt et je n'ai plus qu'à sauter dans mes baskets. Un café vite avalé, et je me retrouve sur la ligne de départ, juste en face de l'hôtel, place de la mairie. Tout le monde est là, sac sur le dos, lampe frontale sur la tête, et le sourire aux lèvres, prêts à partir à la découverte des sentiers malgaches. 3h, c'est parti !

Une voiture ouvre la route sur deux kilomètres. Sitôt la voiture garée, le petit peloton s'étire dans la nuit. Devant, une quinzaine de coureurs s'envole rapidement. Derrière les coureurs plus modestes adoptent une cadence tranquille et raisonnable, la route sera longue !

Je me retrouve au milieu, avec deux ou trois autres coureurs. Trois kilomètres après, René Heintz me dépasse. Je le laisse filer, chacun son rythme. Très vite je suis seul, et je prends ma vitesse de croisière, longtemps répétée pendant les entraînements : moteur coupé, juste une allure footing à 10km/h environ, dépenser le moins d'énergie possible. Va falloir gérer ces 165km avec pour seul objectif de finir.

La piste est large mais il faut faire attention aux innombrables nids de poules et autres crevasses. Je croise des familles entières qui viennent de je ne sais où, chargées de rondins de bois, de poissons, de paniers de charbons, direction le marché de la ville. Tous nous saluent, nous encouragent.

Pierre me rattrape : on échange quelques mots. Il était à Mayotte lui aussi l'an dernier.

Km 18 : Mandromodramotra

Premier ravito : pointage, plein d'eau, quelques fruits secs. Je laisse partir Pierre et je soigne un début d'ampoule au pied gauche. Rien de grave, mais il faut agir avant que ça devienne pénible. Une dizaine de gamins observe mes gestes dans les moindres détails. Je me relève et reprends ma course. Le jour se lève sur la savane environnante.


C'est superbe !

Je rattrape Pierre quelques km plus loin.

Nous traversons un petit village. Une nuée de gosses nous accompagne en rigolant.
7h15 : Mahatalaki, deuxième ravito.

Pointage : 21 ème place: cool ! Pierre ravitaille très vite et repars aussitôt. Moi, je me pose un peu. Il y a là trois coureurs malgaches qui mangent un peu de riz, et Hortensia, la jeune et unique coureuse malgache qui se repose un peu.

Elle est partie trop vite, manque d'expérience. Je fais le plein de la poche à eau et prépare un peu de boisson énergétique avec un comprimé d'hydroclonasone dans mes bidons supplémentaires. Parce qu'à partir de maintenant et ce pendant 42km, plus de ravito. Autonomie totale. Il faudra donc « faire » de l'eau en route en la prenant dans les rivières ou les torrents sur le parcours, d'où le traitement obligatoire à l'hydroclonasone. Maintenant, plus de piste, mais du sentier jusqu'au prochain cp.

Je repars après vingt minutes de pause et quelques succulentes bananes. Les malgaches finissent leur plat de riz tranquillement.

Entrée chaude: 45km en autonomie !

« allez Hortensia, viens avec moi, tu n'as qu'à suivre mon rythme, je ne vais pas trop vite ». Elle m'emboîte le pas et nous repartons sur le sentier de brousse, avec bien sûr les encouragements démultipliés des enfants qui reconnaissent une fille du pays. Mais très vite elle n'arrive plus à suivre, et malgré mes arrêts fréquents pour qu'elle me rattrape, je finis par la distancer, pour ne plus la voir. Je ne m'inquiète pas pour elle, elle est chez elle et trouvera de l'aide sur le chemin, si nécessaire.

Le sentier serpente au milieu de la savane, il fait beau, j'ai la pêche, tout va bien. Je rencontre encore des paysans qui vont je ne sais où, chargés de paille ou de fruits.


Au bout de quelques km, ça devient humide, et je suis obligé de m'enfoncer jusqu'à mi-cuisses dans des mares douteuses.

C'est comme ça, il n'y a pas d'autre passage. Difficile de garder un rythme de course, le sentier est une suite de mares, de gués, de petites montées et descentes.

J'arrive au fameux pont dont J.Marie nous a parlé lors du breefing : 50m de long, mais plus de tablier, juste les poutrelles pour passer. Sympa !

Heureusement, des bénévoles sont là pour nous aider. Je m'engage sur la première partie, les bras bien écartés, façon funambule, mais au bout de 4 ou 5 mètres, je me dis que ce serait vraiment idiot de se foutre à la flotte, 10m plus bas, alors qu'il y a encore tant de choses à voir. Courageux, mais pas téméraire.

Je m'immobilise et aussitôt, un malgache vient à ma rencontre, marchant sur la poutrelle comme moi sur une route. Il me tend la main et m'aide à traverser. Je le remercie chaleureusement et poursuis ma route. Je traverse encore des eaux troubles, ravitaille en eau dans de petites rivières sur les berges desquelles il ferait bon musarder, mais je continue mon bonhomme de chemin. Devant une petite école, des enfants m'accueillent avec de grands éclats de rire. « Wasa ! Wasa !»

Je les prends en photo, et, miracle du numérique, leur montre le cliché : redoublement des rires. Je repars guilleret, traversant de nombreux villages de brousses, paisibles, calmes. Les enfants jouent, les femmes s'affairent autour du feu, les hommes bricolent leur case ou dans leur jardin. Quelle tranquillité, quelle sérénité.

Après un gué, le sentier commence à s'élever, et j'ai devant moi le premier col du parcours. Oh, rien de bien méchant, 5 ou 600m de dénivelé tout au plus, mais ça démarre très raide, et le soleil commence à bien cogner. Je monte doucement, mais j'ai un début de crampe aux mollets : manque d'eau, manque de sel ? Pourtant, j'ai l'impression de boire vraiment beaucoup ! Je calme le jeu, et monte le plus doucement possible. Les trois malgaches laissés au dernier ravito me doublent et partent à l'assaut de la montagne comme des avions. Soit ils sont très forts, soit ils sont inconscients…

Après une rude escalade, nous arrivons à couvert, dans la forêt. Le sentier se fait sinueux et escarpé. Je rejoins mes malgaches : un a mal au genoux, un autre a un coup de moins bien. Moi aussi ; j'avale un gel hyper glucidique, je bois une bonne rasade et je repars tranquille. Le sentier monte encore dans la forêt, je croise des porteurs de charbon, pieds nus, qui descendent vite.

Je retrouve Pierre : il a pris lui aussi un coup derrière les oreilles dans la montée. Nous trouvons une superbe cascade. Je reste un peu avec lui. Il s'allonge carrément dans une vasque d'eau fraîche. Je me contente de refroidir mes jambes en les arrosant de cette eau fraîche et pure. Les trois malgaches passent… On ravitaille en eau, et on repart. Pierre me dit de ne pas l'attendre, il préfère récupérer tranquillement. Je file. Arrivé au sommet, je recommence à trottiner un peu, mais ce n'est pas très facile, le sentier est soit encombré de branches, soit boueux et encaissé.

La descente commence et j'arrive à courir un peu, mais bientôt, je suis obligé de m'arrêter : une brûlure dans le dos, entre les omoplates. J'imagine une sangsue ou je ne sais quoi. Je sors le sac, me déshabille. En fait c'est simplement le collier de graines offert par la gamine qui nous servait de guide qui est en train de se décomposer. Résultat, une espèce de mélasse s'est infiltrée entre mon t-shirt et la peau et m'irrite au plus haut point. Je me rhabille et essaie de régler mon sac de façon à ce que les sangles ne viennent plus en contact avec la plaie qui s'est formée. A la lisière de la forêt et découvre une immense plaine. Des rizières à perte de vue, des bosquets, la nature pure et magnifique, comme dans un rêve.


Une petite case à flan de colline, avec des jardins en espalier, quelques zébus qui broutent. Quelle tranquillité !

Au détour d'un sentier, une cascade en pente douce. Une jeune femme y fait un peu de cuisine, son gamin dans le dos.

J'y retrouve aussi mes trois malgaches en train de casser la croûte.

On repart ensemble, mais ils marchent. Je les dépasse, trop content de retrouver un terrain permettant de courir un peu. On est au milieu des rizières et le chemin sillonne à travers cet environnement merveilleux. Je les distance un peu, mais pas longtemps. Commence à nous agacer ce wasa qui nous rattrape tout le temps. Et c'est parti pour un chassé croisé d'une vingtaine de kilomètres. Je te double, tu me doubles, on se rattrape, on se redouble. Finalement, je me prends au jeu et on va jouer au chat et à la souris jusqu'à Ranomafana (prononcer Ranmafan). J'alterne 10 à 15 mn de course avec 2 ou 3 mn de marche. Un seul aura tenu le rythme lorsque nous arrivons aux portes de Ranomafana. Là, une grande rivière tumultueuse nous barre la route. Une pirogue nous attend. Pendant la traversée, elle tangue dangereusement, je scrute le fond à la recherche d'éventuels caïmans…

Sur l'autre rive, des enfants sont là, et nous acclament. Je m'extirpe de l'embarcation et reprends ma course vers le bivouac, les jambes sont un peu raides! Des enfants m'accompagnent. Je sprinte un coup, on rigole.

L'arrivée sur la place est sûrement le moment le plus fort de la course : des centaines d'enfants chantent, crient, gesticulent en tous sens et m'accompagnent jusqu'au poste de pointage. Quelle fête ! Quel accueil ! Je suis très ému.

14h03 : Ranomafana, premier bivouac

Retour à la « civilisation ». Pointage : 14 ème ! Yes ! Je serre la main de mon compagnon de route et file à la cuisine. J'ai du mal à avaler la soupe et le plat de pâtes que l'on me propose. Ça passe pas trop. Je picore. J'ai peu être un peu trop « allumer » avec le malgache, et je le paye. Pas grave, j'ai le temps. J'avais prévu d'arriver ici vers 17h, j'ai donc trois heures d'avance. Je croise René Heintz. Tiens tiens… je le croyais loin lui.

  • ça va ?
  • on gère, on gère…

Il repart dix mn après, alors que le doc est en train de transformer mon dos en momie égyptienne. Je change de chaussettes, de pompes, de short. Tout neuf le Joël !

Plat de résistance : 80km de piste, de mal au bide, d'incertitudes

15h05 : Une petite photo avec les gamins, et je repars.

Je demande aux trois malgaches s'ils suivent: « non, non, vas-y, on récupère encore un peu ». Soit, me voilà reparti en solo, direction Fort Dauphin… 80km de piste plus loin. Je retrouve ma foulée économique et me sens d'attaque pour affronter l'interminable piste 4X4, à perte de vue.

Il me reste 2h30 avant la nuit, et j'ai bien l'intention d'en profiter pour courir le plus possible. Oui, mais….une violente douleur me vrille les intestins et je fonce dans un fourré soulager ma tripaille. Merde ! ça fait mal. Je prends un comprimé anti-diarrhées et repars, soulagé, mais un brin inquiet. Je cours 2 ou 3 km et maintenant c'est mon estomac qui hurle. Impossible de courir plus avant. Je marche en lâchant d'immenses rototos. Bonjour les brûlures d'estomac. Bon, va falloir gérer ça maintenant. Un km en courant, rototo, et marche pendant 5mn, le temps que ça passe. Quel bordel ! Pourtant, mes jambes vont bien, j'ai pas une ampoule, la piste ne demande qu'à être avalée au pas de course, mais je ne peux plus courir !

Un gros coup de pompe me tombe dessus, en même temps que le soleil décline derrière les collines.

Tant pis, je continue comme ça :marche/course, marche/course. Parfois j'arrive à nouveau à courir pendant deux ou trois km, mais les aigreurs reviennent, ainsi que les arrêts obligatoires dans les fourrés. Je me motive : après tout, je suis très en avance sur mon plan de course, alors, pas de prise de tête, faut juste avancer, ça va sûrement passer…

Le prochain ravito est à 22km, pas la porte à côté, surtout en marchant ! Je me force à courir le plus possible, mais rien à faire, je suis obligé d'alterner. J'avale malgré tout des gels de glucide, et continue à boire régulièrement. Mais que c'est long ! Je commence à me dire qu'il sera peut-être raisonnable de faire une bonne pause au prochain ravito, mais j'ai vraiment l'impression que je n'y arriverai jamais.

Et puis, alors que je commençais à vraiment désespérer, un village s'annonce en haut d'une petite bute. De la lumière, de la musique. J'aperçois la banderole de la course. Ouais ! super ! Finalement, pas si loin ce ravito. J'ai mis 3h20 pour faire ces 22 km. Vu mon état, c'est pas si mal. Je regarde la fiche de pointage : mon prédécesseur est à 50'. Bon, allez, une banane, un coca, heu un deuxième, c'est possible ? je refais le plein et je repars : 5' de pause. La pêche revient un peu ? Ou peut-être simplement un peu d'enthousiasme. Je retrouve le plaisir de courir sur trois ou quatre km, mais ça commence à monter. C'est vrai, sur cette étape de 25km, il y a un col à passer. Je me remets à marcher. Va falloir passer la bosse, et vu mon état, pas la peine de griller les cartouches inutilement. Gérer, toujours gérer. Il y a encore 60 bornes à se taper. Il y a des bornes kilométriques sur cette piste. Ça me permet de mesurer ma vitesse, enfin, ça m'occupe. Je me force à calculer mon hypothétique heure d'arrivée au prochain ravito. Ça monte, ça monte, ça n'en finit pas. Plus je monte et plus le brouillard se fait dense. Un peu avant le col, vision fantomatique, je croise un taxi-brousse, chargé jusqu'à la gueule, qui cahote dans les ornières. Les passagers m'interpellent. « Salut les gars, bon voyage ! » J'aime autant courir qu'être ballotté pendant des heures là-dedans. Je franchis le col en deux heures, au pas de charge. Je rattrape deux malgaches qui vont je ne sais où. « Salut » « salut ». Je recommence à courir dans la descente, qui a l'air plus raide que la montée. Ça tape dur dans les jambes. Le revêtement est un mélange de pavés, de plaques de béton et d'immenses ornières boueuses dans lesquelles je m'enfonce jusqu'à la cheville. J'ai sommeil, j'ai mal aux cannes, mais j'avance. Une demi-heure de descente plus tard… je redouble les deux malgaches du col : il devait y avoir un raccourci dans la brousse. Re-salut  J. Deux heures pour monter, une heure pour descendre, ça fait trois : je ne devrais plus être très loin du ravito, deuxième bivouac de la course au km 120. Vingt minutes plus tard, j'y arrive avec plaisir. Je commençais à m'endormir sur la piste. Je titube en franchissant le portail de l'auberge.

Ezoamba : 22h44, bientôt 20h de course

Pierrot, le doc est là: ça va joël ? « bof... » J e manque me casser la gueule en voulant m'attabler devant une soupe fumante. Le doc me rattrape au vol et m'aide à marcher jusqu'à la salle de repos. Je m'allonge sur un bon lit. Le doc me porte ma soupe.

  • repose-toi un peu, mange, et dans un moment je reviens te prendre la tension
  • ok, doc, mais tu reviens dans une demi-heure, pas plus
  • ça marche

Je sombre instantanément dans les bras de Morphée et me réveille…. ½ heure plus tard. J'appelle le doc, qui comme je m'en doutais préférait me laisser dormir. Tension : 9'5. « C'est pas brillant ». « ok, je redors ½ heure et je te rappelle. » Je me change : chaussettes, chaussures, short, je prépare mon sac pour repartir… et je replonge ½ h.

  • doc, c'est bon, je repars !
  • attends, je reprends ta tension...10 !
  • Ah, tu vois, c'est beaucoup mieux
  • t'es sûr que ça va aller ?
  • T'inquiète, je vais finir cool. Redonne-moi donc une autre bonne soupe

Je bois le bol goulûment, et je repars, tout doucement. Il est Oh45.

  • bonne route !
  • merci encore doc, à demain. Au fait, personne n'est passé pendant que je dormais ?
  • non, t'es toujours 14 ème

Pas la peine de se priver de 2h repos alors! Je suis content de mon coup et presque guilleret, je reprends la piste, droite et plate, au milieu d'immenses eucalyptus. Ça sent fort. Il fait bon. J'ai mis un t-shirt manche courtes, et des running très légères pour finir. Mon sac aussi a été allégé. Il y a maintenant un ravito dans 12km, un autre 10km plus loin et enfin il me restera 13 km de « route nationale » pour finir. Je recours petit à petit, mais très vite, mes maux d'estomac reviennent. C'est chiant ! bordel ! c'est nul ! Je me rends compte aussi que je suis quand même pas mal fatigué : 10 de tension, faut peut-être pas espérer courir à 15 à l'heure. Allez, on se calme. Je reprends mon alternance marche/course et je m'occupe l'esprit avec les bornes kilométriques. Au bout de 4km, je trouve la déviation indiquée lors du breefing : le pont sur la piste est en travaux, il faut faire un détour. Je vois bien la déviation qui part à gauche, et bien que le boss nous ait déconseillé d'essayer de passer tout droit au travers du chantier, je vais voir comment ça se présente. A la lueur de ma frontale, je trouve une petite passe au milieu des marais, 50cm de large, pas plus, sur une trentaine de mètres, et je retrouve la piste en face. C'est toujours ça de gagné !

1h 56' après mon départ du bivouac, j'arrive enfin au ravito.

Iferantza, km 142

La sono est à fond, en pleine brousse, alors que j'aspire à quelques douceurs. Deux ou trois malgaches dansent comme des branques. Je m'écroule sur une chaise pendant que le chef de poste, patriarche sympathique, poinçonne scrupuleusement ma fiche et me propose un coca. Une charmante jeune femme m'offre une banane et me coupe une orange en quatre. Je resterais bien un peu là, moi…

« Vous êtes 14 ème » me dit-elle d'une voix douce. Elle m'annonce aussi qu'il y a trois malgaches qui dorment dans la case d'à côté. Epuisés. Je me relève aussitôt. J'ai pas trop la pêche, mais il faut que je reparte avant qu'ils ne se réveillent. On se motive comme on peut.

  • c'est dur, hein ? me dit le type
  • c'est long…
  • allez, bon courage, le prochain ravito est juste à 10km, bonne route
  • merci beaucoup

Un jeune me remet sur la piste, et après une franche poignée de main, je m'éloigne doucement en trottinant. Quelle fatigue. Je n'ai plus trop de problèmes gastriques, mais je rame. Plus de jus. Je mettrai 1h55 pour faire ces 10km, pourtant très roulants.

Je n'ai pas trop de souvenir de ces km là, si ce n'est les bornes kilométriques…Ah si, je me suis fais la réflexion d'avoir parcouru 145km en 24h, sur les coups de 3h du mat. J'arrive enfin à 4h38 au dernier ravito de la course.

Soanierana, km 152, dernier ravito.

Trois ou quatre types sont là, sous le préau d'une école. Il y a des bananes, du coca, et deux matelas qui m'invitent au repos. Je mange une banane, je bois un coca, et je m'allonge ¼ d'heure, épuisé. Ça tourne un peu. Le ¼ d'heure passé, re-banane, re-coca, et je repars doucement. On m'indique la direction pour rejoindre la route nationale, à quelques centaines de mètres.

Dessert : les 13 derniers kilomètres

Je marche jusqu'à la nationale et je retrouve avec plaisir le bitume sommaire de la route. Ma lampe donnant des signes de faiblesse, j'apprécie de pouvoir retrottiner sur du plat, sans m'entraver dans les ornières de la piste. Allez ! plus que 13 bornes, et c'est gagné ! Je cours, je ne marche pratiquement plus. Par moment, alors que je ne l'ai pas décidé, mon corps se remet à marcher. Ben alors ? Allez, on avance ! Je cours à nouveau. Petit à petit le jour se lève. Des jeunes passent à vélo ou à moto et me saluent. Quelques camions en ruines passent en klaxonnant, la journée commence, le monde s'éveille, et moi, j'ai hyper sommeil. Allez bouge, cours, tu y es !

Je rentre dans Fort Dauphin au petit matin, traversant la rue principale où déjà se pressent de nombreux marchands. Je dois traverser toute la ville pour rejoindre l'arrivée. Encore une fois ou deux, mes jambes s'arrêtent, refusant de courir. Je relance toujours. Dernière ligne droite. J'aperçois l'hôtel, à 300 mètres. Je passe devant, et dans un dernier effort, je monte les trois ou quatre marches qui me hissent sur l'esplanade de la mairie.

Ça ya est, j'ai fini ! Il est 6H52.
Après 165 Km et 27h52' de course. Pas trop tôt.

Solange et Sylvestre, le correspondant local de l'organisateur, m'accueillent à bras ouvert, et m'offre une chaise. Pffff ! « Ca va Joël ? » « impeccable ! mais je suis vraiment crevé. Qu'est-ce que c'est long ! »

Et la cerise sur le gâteau !

  • attend, t'as fait une superbe course, tu es onzième et deuxième vétéran 1, moins de 28h pour 165 bornes, c'est très bien !

Petit sourire, pas si mal en effet. Je me tape un petit coca et direction l'hôtel. Dans la salle de restaurant, je retrouve Gérard qui est arrivé depuis vingt minutes, pas frais et René très bien lui par contre. Je félicite J.Marie pour cette superbe course, très dure, c'est vrai, mais bien organisée, à tout point de vue. On a été bichonné tout le long par les malgaches des ravitos, que du bonheur. Seul bémol, les km de piste faits de nuit sans profiter du paysage, mais la nuit est magique aussi. Pas grave, je prévois de les refaire plus tard, mais en 4X4 cette fois !

Je pars me coucher. La douche, on verra plus tard. Je m'allonge tel quel sur le couvre-lit et m'endors profondément, pendant deux heures.

Je redescends pour le repas du midi que je mange sans trop d'appétit. Contrairement aux courses de montagne, je n'ai pas les jambes « brisées », seulement des courbatures, et une grosse fatigue. Ça passera. Après une sieste, je pars me balader en ville, en marchant doucement, meilleur moyen d'éliminer les toxines accumulées dans les jambes. Le soir j'échange quelques impressions de course avec ceux qui sont arrivés dans la journée, repas léger, et dodo. Je dors douze heures d'affilée.


Le dimanche matin, plage et farniente...

... avec coquillages et crustacés !

Et encore une bonne sieste en attendant la remise des prix prévue à 16h. On me raconte l'arrivée des 4 premiers (trois malgaches et un réunionnais) le vendredi soir, un peu avant minuit, soit moins de vingt heures pour les deux premiers et moins de vingt et une heure pour les troisième et quatrième ! Chapeau Messieurs !

Des centaines de spectateurs les ont suivis et acclamés dans toute la traversée de la ville, et à 50 m de l'arrivée, ils ont carrément été soulevés par la foule et portés en triomphe jusqu'à l'arrivée. C'était du délire complet !

Bon, pour moi, y'avait beaucoup moins de monde… :-( Mais je ferai mieux l'année prochaine ! :-)

La remise des prix bon enfant se déroule tranquillement. Je me retrouve sur le podium, donc, pour recevoir mon trophée de vétéran1, et après une petite mise en garde de l'organisateur aux coureurs malgaches qui auraient usé de quelques tricheries durant le parcours, nous assistons à un ravissant spectacle folklorique, un verre de punch à la main.

Un peu de tourisme.

Voulant à tout prix revoir les zones du parcours traversées de nuit, nous louons à plusieurs un 4X4 à la journée. Nous voilà partis dès lundi matin à la découverte de ces satanées pistes et des villages de brousse.

Le lendemain, nouvelle virée, mais cette fois, direction Ste Luce, petit village de pêcheurs au nord de Fort Dauphin. Après trois heures de 4X4, nous traversons le petit village et arrivons sur une plage magnifique. Les villageois s'affairent autour des barques qui arrivent et repartent sans cesse.

Pendant que l'on nous prépare quelques langoustes, nous choisissons notre poisson, dans les barques qui arrivent. Des enfants viennent nous vendre quelques coquillages et des beignets de bananes. Après le repas, promenade digestive le long d'une immense plage déserte.


Des enfants pêchent


un homme récolte un peu de moules, malgré l'assaut des vagues, pour confectionner des appâts qui lui serviront à pêcher la langouste.

Nous laissons à regret ce village d'un autre temps, et regagnons l'hôtel.

Voilà, une page se tourne, une nouvelle course de faite, de nouvelles rencontres. Découverte magique d'un pays magnifique, mais comme ça fait mal de voir des gens aussi miséreux dans un pays aussi riche ! Je reviendrai l'an prochain, avec d'autres copains coureurs, mais pas les mains vides.

A bientôt.

Joël Delmas

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