Ça y est, le 15ème Grand Raid de La Réunion, le 7ème à titre personnel a rendu son verdict. Retour sur une course mythique...
2 400 folles et fous prêts à en découdre
Nous voilà tous réunis à Saint Philippe, il est 23h. Déjà une bonne heure que je discute fébrilement avec Geneviève. Faut dire que la quinzaine précédente a de quoi mettre le doute aux plus optimistes... Mauvaise grippe suivie d'une douleur à l'estomac des plus tenaces. J'essaie d'en faire abstraction, pas trop rassuré le Seb. Ça y est, les compères A2Riens sont là : Joël le vieux lion, Stef le Delebarre local, Raf le champion toute catégorie, Yan le tueur, Doc ... le doc (ouais, facile), Line, Marie Agnès et Geneviève, nos trois drôles de dames. Petite photo de famille, quelques mots rapidement échangés, la tension est palpable. C'est l'heure des incertitudes où tout est remis en cause. Le traditionnel contrôle des sacs débute avant de gagner timidement la ligne de départ au milieu de ces milliers de folles et fous. Quelques discours se succèdent, l'appel des favoris et c'est le gong. 0H, l'heure du doute... Yan est à mes côtés lors des premiers mètres, c'est la cohue, nous nous faisons littéralement propulser contre le muret, difficile de résister. La course part vite comme à son habitude, on cherche notre souffle avec Raf qui a recollé.
Cap Méchant - Foc Foc
Le rythme est régulier, chacun est appliqué à la tâche; ravitaillements fréquents, relâchement sur les faux plats. Tout va bien, quelques mots rapidement échangés, on est dedans. Raf prend quelques secondes d'avance pour refaire le plein, Yan et moi abordons le sentier de Foc foc tranquilles, dans les temps prévus. Le début de la montée est raide, on le savait, pas de souci, on gère... jusqu'à... cette panne. Je ne sens plus mes jambes, mes forces m'abandonnent et des étoiles apparaissent ailleurs que dans le ciel. J'essaie de me calmer, de m'alimenter mais là aussi, c'est la panne. Impossible de manger ni de boire quoique ce soit. La grimpette devient calvaire, je ralentis puis ralentis mais m'interdit l'arrêt, Tout ce qui est pris n'est plus à prendre. Les concurrents me passent les uns après les autres, même ceux qui défaillent se font la belle. Cauchemardesque ! Je me traîne, je ne m'alimente toujours pas et mon moral s'effondre. Arrivée à Foc foc au ralenti, le ressort s'est cassé.
Foc foc - Mare à boue
Le relief s'aplanit, je marche vite et reprends quelques concurrents. Ça a l'air d'aller mieux, j'ai pu boire un peu de coca mais mon estomac brûle, je sens qu'il se refuse à moi. Je relance, gère et parviens enfin au Volcan. La maman de Sandrine est fidèle au poste, elle me donne mes précieuses pommes de terre salées. Je mange enfin un peu, reprends quelques forces pour fondre vers Mare à boue. Cette partie de parcours du GR est ma préférée, terrain souple, relances agréables, paysages somptueux. Je prends enfin un peu de plaisir, il était temps. Mare à boue me tend ses bras ainsi que le papa et le frère de Sandrine épaulés de Bérénice. Ravitaillement court mais efficace, un peu de soupe et nada... Je repars avec un mental regonflé mais l'estomac creux, rien ne passe. Ma défaillance est derrière moi, du moins en suis je convaincu, maintenant, « à l'attaque »...
Mare à Boue - Cilaos
J'attaque le Kerveguen à la fraîche mais les sensations sont moyennes. Incapable de galoper, j'opte pour la marche rapide. La boue succède à la boue, quelques gouttes de pluie s'invitent à la fête, tout cela semble de bonne augure. Hélas, dès lors que la pente s'élève, je me sens à nouveau défaillir. Plus de jambes, plus de jus, plus d'envie, c'est le calvaire. Les concurrents me dépassent à la vitesse de l'éclair tout en discutant : « Oté, nou sa pa dor tèr la, accélèr un ti peu »... « lèss à mwin prend dé trwa foto »... Ouais, et moi qui pioche comme un damné pour lever les guiboles, ça en deviendrait presque vexant. La fin de la montée vers le gîte du Piton est un chemin de croix, je n'en peux plus et mon ventre crie famine tout en me faisant terriblement souffrir. Le mental est au plus bas, j'essaie de trouver des images positives : France - Allemagne de 82, non, pas bon, on paume aux pénos; France - Italie de 98, ouais, on a une chance de cocus... J'ai beau chercher, rien ne peut me sauver. Tiens, OM - VA de 92... et si on payait les 2 400 raideurs pour qu'ils feignent l'abandon ? Ok, je m'égare.
Je bascule vers Cilaos en me remettant en petites foulées, je vous rassure, dix petites minutes et puis s'en vont ! La machine semble cassée, je me sens vidé, épuisé, à bout de forces. Ma décision est prise, mon périple s'achèvera à Cilaos. Mon objectif cette année devait m'emmener dans les 30 premiers, je baisse les armes et capitule, je n'en ai pas les moyens sur cette édition, faut se résigner. Autant rentrer sagement et sans bobos à la case. Il me faudra près d'une heure et quinze minutes pour descendre le bloc puis trente bonnes minutes pour gagner le stade. Mes parents m'attendent et constatent les dégâts. Je m'écroule avec mes dernières volontés complètement épuisé, sans aucune ressources. Les rêves s'envolent, c'est dur, très dur, surtout quand on se prépare physiquement et mentalement depuis dix mois, qu'on se dit qu'on va le faire, que tout est question de volonté et qu'on se répète inlassablement : « qui veut constamment peut forcément »; quand on organise une bonne partie de sa vie autour de cet objectif alors, oui, la déception est immense.
Je tente de faire le vide mais le coup fait très très mal. Je reste allongé, tout s'arrête... blanc... biiiip... censure... je garde pour moi les minutes qui suivent...Je dors, je ne sais combien... 2h30 m'apprend ma maman. Phil et Stef sont là, sereins, heureux de leurs périples. C'est géant. Je me lève, tâte mon côté de jambe, dossard toujours là. Je suis encore en course. Je réfléchis à peine, la décision est prise, je REPARS. Je veux aller au bout quelque soit le résultat, j'en ai trop bavé à Mayotte. La présence de mes deux dalons me rassure, il faut foncer sans tergiverser.
Cilaos - Roche Plate
Un fond de bol de soupe, toujours pas moyen de m'alimenter correctement, et ça repart... prudemment; la descente vers Bras Rouge est raisonnable, la remontée également. Je gère pour éviter la casse mais visiblement, les presque 4 heures de halte m'ont été bénéfiques. La deuxième partie vers la Taïbit se complique, les vieux démons ressurgissent. Mes jambes faiblissent, mon énergie s'amenuise au fil des kilomètres. Je stoppe chez les tisaniers et m'octroie une infusion « ascenseur ». Je repars avec difficultés, ce GR est décidément horrible. Je bascule enfin vers Marla puis retrouve le dernier ravitaillement diurne. Je m'assoies, récupère et miracle, parviens à manger pâtes et poulet. J'en aurai presque les larmes aux yeux. J'exulte ! La course va enfin pouvoir commencer... Ma ballade nocturne vers Roche Plate est agréable, les jambes vont mieux, je dépasse un à un les concurrents. La folle remontée démarre. J'arrive à Roche Plate, ravi de voir Flo et Jean Louis. Leur assistance est précieuse et le bonheur est dans le pré ! Leur simple présence me procure une joie immense, c'est du pur bonheur. Je me restaure, ça y est, mon estomac est redevenu mon allié. J'attaque le Bronchard le mors aux dents.
Roche Plate - Dos d'âne
La descente s'effectue lentement, la visibilité est réduite, le danger guette. Je franchis la rivière puis me lance vers 700 m de grimpette. L'envie et le plaisir sont présents, c'est bien l'essentiel finalement. Les séquelles de ma première moitié de parcours sont réelles, mon moteur a des râtés ! Pas grave, l'important est ailleurs. Mes enfants m'ont promi un accueil de champion à La Redoute, j'y serai... La nuit se rafraîchit, je m'arrête quelques minutes à La Nouvelle puis me lance à l'assaut du col de Fourche. C'est très très moyen, ma forme est petite mais mon mental à bloc : « bats toi, vas au bout, accroches toi ». J'ai dû ressasser cette phrase des centaines de fois. La descente vers Aurère s'amorce, je déroule avec des jambes lourdes. Il doit être 1h lorsque je rencontre Bérénice au ravitaillement du sentier Scout. Elle attend le Doc et m'apprend que Yan a déposé les armes ici même. Le coup est rude, énorme déception pour mon dalon avec qui je partage mes heures d'entraînements, avec qui j'échaffaude chaque jour un plan de course différent, avec qui je partage rêves et passions. Tout cela fait très mal mais c'est la course. Ces épreuves serviront un jour à nous dépasser, patience.
La descente vers Aurère est sympa, je trottine tout du long et me régale. La nuit sur Mafate est magique, j'éprouve un énorme plaisir d'être seul, ici. La petite grimpette sur Aurère fait mal, je ralentis la cadence. Marie et Nolwenn sont présentes au ravitaillement, cela fait du bien de les voir. Je me sens frais, ma remontée est étonnante (486° à Cilaos, 131° à Aurère). Le classement ne m'intéresse plus depuis fort longtemps mais avouons que l'égo se trouve ragaillardi. Les cailloux succèdent aux cailloux, une légère douleur au genou gauche m'incite à ralentir. J'atteins 2 bras sur une jambe (facile !) vers 4h30 et mes paupières deviennent plus lourdes que mes cuisses. Le repos devient nécessaire, je m'octroie 10' de sommeil dans une tente militaire où l'atmosphère est ronflante. J'avale un bol de riz,m'excuse auprès du militaire en faction de ne pas faire honneur à son plat - « pas grave, tu seras pas fusillé » -, puis me lance vers la terrible montée de Dos d'âne. Le jour se lève lorsque je franchis la dernière grosse difficulté du GR et il faut dire que curieusement, je suis bien ! Je respire profondément, hume ces subtiles odeurs du petit matin en me réjouissant d'être encore présent sur la course. J'arrive ti lamp ti lamp à Dos d'âne et retrouve ma dulciné, ça aussi s'est bon, même meilleur que les odeurs... L'arrêt est bref mais appréciable. Je m'essaie au cake salé, sans succès, décidément ce GR aura été celui de "la mal bouffe".
Dos d'âne - La Redoute
C'est la dernière ligne droite et quoiqu'il arrive ... je parviendrai à mes faims. Je me rassasie de ces nourritures spirituelles avant de m'attaquer au morceau de choix : Piton Bâtard. Les jambes tirent mais qu'importe, à cet instant précis, je suis l'homme le plus comblé de la terre. Bien loin de mes performances antérieures certes, bien loin de mes objectifs rêvés il est vrai, mais réjouis d'être là, tout simplement et fier de n'avoir pas « lâché l'affaire » à Cilaos où les bookmakers les plus optimistes me donnaient à 1 000/1 ! Les kilomètres défilent, je ne double plus grand monde excepté quelques éclopés qui achèvent leur chemin de croix. On échange des mots réconfortants, la solidarité des héros...
Le Colorado est déjà là, tout est vraiment question de relativité, et ma moitié également. Bruno m'encourage, ça fait chaud au coeur, d'autant qu'il doit être grandement déçu d'avoir jeté l'éponge lors du semi. Mes parents qui ont fait le déplacement depuis le sud pour m'espérer à l'arrivée sont également présents. Que du bonheur ! Un bisous à la sauvette de Cécile puis j'entame la dernière descente de la course, Colorado - La Redoute. Je hausse le rythme, malgré mes pieds qui brûlent, et savoure intensément chaque minute qui s'écoule. Elles sont importantes, je me régale à nouveau, seul face à moi même... 40 petites minutes plus tard et j'atteins le stade tant désiré, tant redouté aussi (facile !) et retrouve Katell et Renan qui acceptent de parcourir les derniers mètres aux côtés de leur papa. Sandrine, ses parents, Raf, Bruno, Valérie, mes parents, Cécile m'accueillent avec enthousiasme. LE PIED... finalement, faut pas grand chose pour être heureux !
L'aventure s'est donc achevée au terme de 34h et 34 minutes d'efforts extrêmes. Ma course n'est probablement pas celle dont j'aurais pu rêver mais je ne bouderai pas le plaisir d'avoir vaincu ce GR si coriace. J'adresse très sincèrement des millions de remerciements aux accompagnateurs et aux ravitailleurs sans qui rien n'aurait été possible. Je m'apperçois une fois encore de l'importance de leur rôle, chapeau bas à tous, on vous doit beaucoup.
Cécile, Katell, Renan, Maman, Chris, vous comprenez, je suis sûr, à quel point ce sport est passion, il est en moi. Il me rend heureux et épanoui, il est un de mes moteurs de vie, c'est en lui que je puise bon nombre de mes ressources. Merci de votre patience, de votre tolérance et de m'autoriser à rêver chaque fois davantage...