Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
28 octobre 2009 3 28 /10 /octobre /2009 16:39
Il est minuit dans le stade de Cap Méchant à Saint Philippe. 2 500 fous sont parqués sous une pluie battante et attendent la délivrance : le départ pour une aventure de 150 kilomètres et environ 9 000 mètres de dénivelés positifs à travers les paysages montagneux de La Réunion. Je me souviens qu'il y a un an de cela, j'avais oublié ce que signifiait faire du sport et que j'enfilais les paquets de cigarettes à la place des tours de piste à Champs Fleuri. Merci les gars de m'avoir emmené jusque là ! Le départ approche. Dernières tapes dans les mains à Séb, Vincent et au Grand Stéph' et c'est parti. Première grosse émotion... Je n'essaie pas de suivre le grand Stéph et Séb' et nous prenons un petit rythme tranquille avec Vincent. On se perd un peu de vue et j'entame seul le sentier vers Foc Foc après 1h50. La pluie qui tombe toujours ne gêne pas trop l'ascension qui se fait à un rythme régulier malgré quelques légers ralentissements. Peu avant Foc Foc j'entends la voix de Vincent derrière moi. Voilà une bonne nouvelle, il n'était pas loin ! On pointe en un peu moins de 6 heures au volcan (à la 484ème place). Pile dans les temps. Le jour s'est levé et les nuages ont mis les voiles. Quel privilège de courir sur les bords de l'enclos et sur la plaine des Sables. J'en profite pour en prendre plein les yeux tant que je suis encore frais. Lors de la montée vers l'Observatoire Sainte-Thérèse, je rejoins Marie Glasenapp avec qui j'échange quelques mots. Je la laisse ensuite filer dans la descente vers Mare à Boue : elle finira de toutes façons bien loin devant moi. Moi qui appréhendais pas mal la portion vers Mare à boue, je suis agréablement surpris. Pas la moindre trace de flaque d'eau. La traversée des pâturages est donc plutôt agréable. Le petit tronçon de bitume avant l'arrivée au ravitaillement ne plaît pas trop à Vincent, mais cela ne nous empêche pas d'arriver à bon port après 8h45 (464ème) En passant au pointage l'odeur du poulet grillé me chatouille les narines. J'en prends une assiette et me pose pour manger un peu. Je m'allonge deux minutes pendant que Vincent essaie de soigner des débuts d'ampoule avant de repartir et de saluer Stéphane L. venu à notre rencontre avec son gros appareil photo. Clic Clac, quelques photos pendant que nos têtes sont encore présentables et, hop c'est reparti à l'assaut du gîte du Piton des Neiges. Cette ascension sera pour moi très très difficile : je n'ai plus de force dans les jambes. Est-ce le poulet de Mare à Boue qui passe mal ? Les suites du petit coup de froid ressenti au volcan ? Je n'en sais trop rien. Toujours est-il que je m'arrête cinq minutes dans la montée pour essayer de m'alimenter calmement. Je repars et rejoins Vincent un peu plus loin qui m'a attendu à Kerveguen en soignant son ampoule. Nous pointons au Gîte du Piton des Neiges après 12h30 de course en 503ème position. Nous avons donc perdu quelques places dans l'affaire. L'infirmier du SAMU présent au poste doit sans doute voir que je suis un peu "palot" et me propose de m'abriter du vent quelques minutes sous la tente et de me faire masser deux minutes. J'accepte volontiers sa proposition et nous repartons après ce massage salvateur. Dès le début de la longue descente vers Cilaos qui nous fait passer de 2 500 mètres à 1 200 mètres d'altitude, je sens que la forme revient. Nous descendons donc à un bon rythme. Personne ne nous doublera et nous avalerons une trentaine de coureurs. Au pied du sentier, les trois kilomètres de bitume nous permettent de rejoindre le stade de Cilaos où nous attend, après un petit passage chez le podologue, l'équipe A2R et les copains qui partiront le lendemain pour le semi raid. C'est agréable de n'avoir rien à faire : et vas-y que je te remplis tes bidons, et vas-y que je te prépare ton sac, et vas-y que je te demande si t'as besoin de rien. Finalement, il n'y aura que le changement de chaussures que j'aurais fait moi même ! Un vrai stand de Formule 1 ! Joël nous met ensuite presque dehors. nous intimant l'ordre de ne pas traîner. Un passage par le ravitaillement pour avaler un peu de pâtes et de soupe et c'est reparti avec 50 places de gagnées entre l'entrée et la sortie du stade. Dans la descente vers Bras Rouge, mon genou gauche m'envoie un premier signal. Ce n'est pas encore douloureux, mais je sais que cela finira par le devenir. J'essaie de chasser cette perspective de mon esprit au moment où on entame la remontée. Arrivée au pied du Taïbit, Vincent et moi ressentons tous les deux le besoin de nous arrêter quelques minutes. Je m'assois sur une chaise et rumine contre ce satané genou qui est décidément mon talon d'Achille (oui, c'est phrase n'est anatomiquement pas très correcte...). Nous repartons mais au bout de quelques hectomètres de montée, Vincent doit s'arrêter pour régler quelques problèmes gastriques. La pluie a repris, il fait froid, il me dit de ne pas l'attendre. Je lui dis qu'on se retrouvera sans doute d'ici Marla puisqu'il semble jusque là avoir de meilleures jambes que moi. Au tiers de la montée, je trouve un bâton parfaitement adapté et décide de l'utiliser pour soulager dès maintenant mon genou. Il m'accompagnera finalement jusqu'à la Plaine d'Affouches me causant de grosses ampoules à la main ! A l'aide de mon bâton de fortune, j'effectue le reste de la montée à un très bon rythme et double beaucoup de monde. Arrivé au sommet, je bascule dans Mafate sans perdre une seconde : il fait froit et la nuit ne va pas tarder à tomber ! J'arrive à Marla (km 82) en 370ème position après 18h30 de course. Je décide de prendre le temps de me restaurer un bon quart d'heure (le "solide" ne passe plus trop, je me contente de soupe) pour voir si Vincent va arriver. Aucune trace de lui. Dommage, je repartirai tout seul alors que la nuit commence à tomber et que je rallume la frontale. Commence alors la partie du Grand Raid que j'aurais préférée. Pendant la dizaine d'heures que va durer ma traversée nocturne de Mafate, la forme est tellement bonne que j'en oublierai mon genou pourtant de plus en plus préoccupant. Je pointe ainsi en 333ème position à Trois Roches puis en 315ème place à Roche Plate (km 95) où je retrouve l'équipe de ravitaillement A2R de choc dirigée de main de maître par Jean-Louis. Le Doc m'inspecte le genou et me donne un anti-inflammatoire pour me soulager. Nadine me dit que j'ai l'air d'avoir la forme... Cela fait plaisir car je pensais plutôt avoir une mine défaite. Je repars revigoré : cela fait du bien de voir quelques têtes connues car je me sentais un peu seul depuis que Vincent n'était plus dans mes traces ! La longue descente après Roche Plate n'arrange pas l'état de mon genou. Une fois la rivière traversée, je sais qu'un gros morceau m'attend : la Roche Ancrée. Il n'y a qu'à lever la tête pour apercevoir la lumière des frontales très haut dans le ciel pour se dire que cela va être raide ! Je m'assois deux minutes, avale difficilement un gel, bois un coup et emboîte le pas d'un raideur qui passe devant moi. Lui aussi appréhende cette difficulté et je lui propose donc de la faire à deux, sans se presser, à un rythme régulier. Et finalement, cela se passera plutôt mieux que ce que nous craignions tous les deux. Parvenus en haut, nous jetons un regard derrière nous et, à notre tour, nous plaignons les raideurs dont les lampes frontales scintillent 600 mètres plus bas. On ne s'attarde pas, et on prend la direction de Grand Place où je parviens en 294ème position (pour la première fois dans le top 300, ça fait du bien au moral) après presque 25 heures de course. A Grand Place (km 103), pour la première fois, j'hésite. Il est presque une heure du matin : dois je m'arrêter dormir 30 minutes ou continuer sur mon rythme? Les quelques lits de fortune du ravitaillement étant occupés, je m'assois par terre et m'assoupis la tête entre les genoux. Le froid me réveille au bout de deux minutes seulement. Après avoir encore avalé mon menu désormais traditionnel (soupe + coca) je me remets donc tout de suite en route pour me réchauffer. Le genou commence à être douloureux mais ne m'empêche toujours pas d'avancer à un bon rythme. Les traversées de ravines entre ilet à Bourse et ilet à Malheur me permettent encore de remonter quelques concurrents et le petit raidillon qui mène à Aurère ne me pose pas trop de problème non plus. Je pointe à Aurère (km 112) en 260ème place. Cela ne m'étonne pas : sur le bord du chemin, j'ai vu beaucoup de raideurs dormir, enveloppés dans leur couverture de survie. Le médecin du poste est un anesthésiste de l'hôpital. Il me dit que le grand Stéph que je pensais très loin devant, est reparti il y a seulement 10 minutes. Je me dis que j'ai peut être une chance de le rattraper et, pourquoi pas, de finir avec lui. Je ne m'attarde donc pas et repars sur le chemin. Malheureusement, c'est à partir de là que les choses vont commencer à se gâter. Alors que le genou gauche commence à être franchement douloureux dans la descente vers Deux-Bras, je ressens les premiers signes d'une autre tendinite. Cette fois, c'est le releveur du pied droit qui est concerné (sans doute que j'ai trop tiré dessus pour compenser la faiblesse de l'autre jambe). Arrivé à Deux Bras, dans le lit de la Rivière des Galets, je pointe en 249ème position alors que le soleil se lève laissant derrière moi ma deuxième nuit sans sommeil. Je cherche si je vois Stéphane mais il est visiblement déjà reparti. Comme je sais maintenant que je ne serai plus en mesure de le rattraper, je décide de prendre mon temps à ce gros ravitaillement et passe par le stand m'allonger sur la table en attendant un kiné. Comme il n'arrive pas tout de suite, je m'endors sans même m'en apercevoir. Je me réveille au bout de 30 minutes en me demandant un peu où je suis. Le kiné me fait un strapping très serré au pied droit pour lui éviter de bouger afin que le releveur ne s'enflamme pas trop. Je repars de Deux Bras une heure plus tard en ayant perdu une trentaine de places. Pas grave. Je me suis fait plaisir jusque là en grignotant des places mais je sais que de toutes façons, à partir de maintenant, le classement n'a plus aucune importance. Je suis très en avance sur mes prévisions les plus optimistes. Il ne me reste donc plus qu'à boucler les 25 derniers kilomètres en serrant les dents. La montée de Dos d'Ane se passe plutôt bien et je débouche sur la route après 1h30, en croisant Marcelle Puy descendue à la recherche d'un de ses dalons du CAPOSS. Dominik, une collègue de l'hôpital vient à ma rencontre en haut du sentier et m'accompagne sur les quelques kilomètres de bitume jusqu'au ravitaillement (km 128) où je retrouve aussi ma sœur Sophie. Cela remonte vraiment le moral car je sais que la fin s'annonce très longue et que la douleur sera de plus en plus forte. Sophie s'inquiète de me voir boiter et me demande si ça ira. Je lui dis que je mettrai le temps qu'il faudra mais je ne vais pas m'arrêter à moins de 20 kilomètres de l'arrivée. Je lui promets de l'appeler au Colorado, dernier ravitaillement avant l'arrivée afin qu'elle puisse me retrouver sous le Pont Vinh San. Après 33 heures de course (275ème), j'entame alors la dernière ascension du parcours qui me mène sur la crête de Dos d'Ane. J'ai l'impression de marcher sur le fil du rasoir : le sentier fait moins d'un mètre de large : d'un coté, 800 mètres plus bas, la Rivière de Galets, de l'autre, 300 mètres en dessous, la commune de Dos d'Ane. Impressionnant ! Une fois sur la crête, la succession de petites montées et de petites descentes met mon genou au supplice. Je me fais maintenant dépasser par wagons entiers et c'est dur pour le moral même si je sais que cela durera comme ça jusqu'au bout. Parvenu à la Plaine d'Affouches, je marche lentement sur la route forestière et m'assoupis plusieurs fois sans même m'arrêter. Dormir debout est vraiment une sensation étrange. J'ai quitté Dos d'Ane depuis maintenant cinq heures quand j'arrive enfin au Colorado (340ème). J'appelle Sophie et lui dis que je pense arriver dans environ 1h30. La prévision me semble assez large mais je me trompe en fait lourdement. Cette dernière descente sera un calvaire. A chaque fois que je pose le pied gauche, j'ai l'impression qu'un couteau me transperce le genou. J'avance pierre par pierre et m'arrête tous les 10 mètres. Les larmes me montent aux yeux : je vois le stade en contre bas mais j'ai l'impression qu'il ne se rapproche jamais. Tous les concurrents qui me doublent ont un mot gentil et m'encouragent à les suivre mais je n'y arrive tout simplement pas. C'est trop dur. Au bout de deux heures interminables, je débouche enfin sous le pont Vinh San où m'attendent Sophie, Christophe et ma nièce Maylis. Christophe vient me soutenir pour les derniers mètres de descente et Sophie me donne le tee-shirt officiel que je suis censé porter en passant la ligne d'arrivée. Ils m'accompagnent pendant les 200 mètres de ligne droite jusqu'à l'entrée dans le stade. Je savoure enfin pendant le demi tour de piste qui reste. Ca y'est, j'y suis. Je n'ai plus mal, je finis même par courir pendant les 50 derniers mètres, je passe devant Stéphane L. et son appareil photo sans même le voir. Je ne ressens même plus aucune douleur. Le corps humain est quand même bizarre ! Top chrono : 40 heures et 5 minutes et 405ème au scratch. J'avais prévu 40 heures. Je crois qu'on peut dire que le contrat est rempli. On me remet ma médaille, je réponds aux questions d'un journaliste (les quelques banalités que je lui lacherai seront effectivement retranscrites dans le supplément du JIR du lundi) et je m'allonge sur l'herbe du stade, entouré de Sophie, Christophe et Maylis ainsi que des collègues du boulot et Stéph et Flore qui 'ont gentiment attendus malgré le retard dans le timing ! Je pense à Emilie, mon petit Baptiste et ma petite Margaux qui veut tellement "aller courir dans la montagne avec papa". Partis en Métropole en éclaireurs avant notre retour définitif à la fin de l'année, ils n'ont pas pu être là pour m'accueillir. J'espère que la lecture de ce petit récit leur permettra de vivre cette aventure par procuration. Merci au grand Stéph pour m'avoir amené avec lui à A2R. Merci à Séb pour son plan d'entraînement aux petits oignons (et bravo pour ta perf ! Enorme !!!) Merci à Joël pour le matos : aucun souci de ce côté là. A peine une moitié d'ampoule au pied droit. Merci à Yan pour avoir souvent servi de pont de mire dans les séances de fractionné. Merci à Florent pour son réservoir de blagues inépuisable Merci à Stéph et Flore pour les photos, les gels, les encouragements et tout le reste ! Merci à A2R, merci à vous tous pour ce que vous m'avez permis de faire !

Damien
Partager cet article
Repost0

commentaires

S
<br /> <br /> Bravo à toi Damien à la fois pour le récit mais aussi et surtout pour ta belle réussite. Tu as fait preuve de beaucoup d'application dans ta préparation et d'énormément de ténacité le jour de la<br /> course.<br /> C'est pas donné à tout le monde d'aller au bout de ce monstre de GRR, tu n'avais pas d'expérience, c'est d'autant plus remarquable.<br /> <br /> Seb<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre