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27 juillet 2012 5 27 /07 /juillet /2012 12:39
Mais que m’est-il passé par la tête lorsque je décidais de réaliser ce fou périple d’une trentaine d’heures dans nos si belles montagnes ? Mais que m’est-il passé par la tête lorsque je proposais à Stef de se joindre à moi ? Mais que LUI est-il passé par la tête lorsqu’il décidait d’accepter ma vile proposition ? Et oui, parfois, les ennuis démarrent sur de stupides idées… Toujours est-il que nous décidâmes, mes bonnes âmes, de nous lancer dans ce raid, parés en la circonstance de nos plus belles montures : de rutilants sac Raid Light d’une charge soupesée et estimée à exactement 7,564 kg. L’idée que nous avions tous les deux, ou chacun, étant d’enchaîner deux jours et une nuit de marche forcée en totale autonomie. Pour Stef, l’objectif est clair : préparer le prochain Grand Raid et faire en sorte que son retour, après 4 années de disette, soit gagnant. Lui qui choisit ses objectifs avec tant de minutie a décidé de s’attaquer à ce monument de l’ultra trail exclusivement lors des années olympiques et accessoirement lors de la venue de l’espagnol céleste. Un peu gêné depuis le début de l’année par une petite blessure et une sale grippe (je parle bien de Stef), le voilà d’attaque pour peaufiner sa préparation. Le raid 97 4 lui a fourni une parfaite « rampe de lancement », cette sortie lui offre une belle opportunité de consolider sa forme physique mais aussi, nous le verrons ultérieurement, son mental… De mon côté, la préparation physique est quasi achevée et la motivation est proche de son zénith. En fait, mon principal objectif à cette folle escapade est ailleurs : m’apprendre à dormir peu, à récupérer vite, à savoir lutter contre les paupières qui s’alourdissent en même temps que les jambes s’enraidissent. Tout un programme ! En effet, de tous les récits, vidéos et autres informations que j’ai eu loisir de glaner sur le Tor des Géants, il y a bien une donnée essentielle qui m’a sauté aux yeux, c’est la problématique du « j’ai trop sommeil », « un lit, siouplaît ! », « dodo dodo l’enfant do… », bref, tous ceux qui s’y sont essayés le disent bien : « sur le Tor, on boit bien, on bouffe bien, on ba…. bien mais putain qu’est-ce qu’on dort mal ! ». Les meilleurs dorment environ 3 heures (sur 80 !), le gros de le troupe entre 6 et 7 heures (sur 110), ça fait pas lourd. Les moments d’égarement, de fatigue, de perte de lucidité et d’épuisement sont fréquents. Sur le Tor, c’est assurément « grosse fatigue ». J’ai « en mémoire l’histoire de ce roi, mort de n’avoir pas »… oups, je m’égare… l’histoire donc, de ce traileur français ayant réalisé la course parfaite, enfin presque, puisqu’il fût contraint à l’abandon à 7 kms de l’arrivée (sur 332) alors même qu’il était encore classé 3ème au général. Il explique dans son récit que, persuadé d’être « talonné » par un coureur espagnol (en réalité, plus d’une heure et demi derrière), il refusera les arrêts que lui demandaient pourtant son corps, et s’effondrera, épuisé, à bout de forces, ne devant son salut qu’au médecin et pompiers venus à son secours. Oui, à l’évidence, ce Tor des Géants exige une parfaite gestion du sommeil ou plus exactement, du manque de sommeil. Voilà pourquoi, je décidais de m’engager sur un effort préparatoire aussi long, envisageant quelques « pauses-dodo » qui devraient me permettre de mieux connaître mes cycles de sommeil et d’évaluer au mieux mes besoins en repos. Poussant le vice à l’extrême, je m’arrangeais pour être bien fatigué avant le départ, dormant volontairement peu les nuits précédentes et la veille, grimpant à vélo le beau Maïdo (beau la rime !). 5 h de selle pour 2 300 m de d+, me voilà fin cuit pour ce grand off, vraiment raid. Nous prîmes donc le départ avec Stef, ce vendredi 20 Juillet 8h avec en prime un temps magnifique. Première grimpette depuis Sans souci jusqu’au Maïdo (encore lui) en visitant l’Ilet Alcide. Nous décidons de tester nos nouvelles chaussures flambant neuves, Raid Light pour moi, Asic Sensor pour Stef. Mais ne dit-on pas qu’il convient de ne jamais s’engager sur une longue sortie avant d’avoir au préalable « casser ses pompes » ? A croire que nous étions complètement à côté des nôtres ! Mais au fait, la montée du Maïdo par Ilet Alcide, vous connaissez ? Vous savez, je parle de cette magnifique ascension d’environ 4h pour un peu plus de 1 800 m de d+… sans le moindre point d’eau. Il vous sera donc aisé de comprendre pourquoi je décidais de n’emporter que 2 l d’eau et Stef à peine 1... d’autant qu’un invité de marque s’était joint à nous, le soleil. Mais me direz-vous, pourquoi ne pas partir les yeux bandés et les pieds liés ? Et bien, en fait, nous n’y avions tout simplement pas pensé… Bref, s’il y avait au moins un point positif, c’est que nous ne manquions ni de nourriture, ni d’affaires de rechange tant nos montures étaient suffisamment garnies. La montée vers le Maïdo est néanmoins bien agréable et les sensations sont présentes, tout comme le soleil d’ailleurs. Le cœur léger, la bouche sèche, nous basculons vers Roche Plate, admirant le fabuleux panorama qui s’offre à nos yeux, eux aussi asséchés. Séance test également pour nos chaussures qui répondent parfaitement à la technicité de la descente. Ralliant Roche Plate vers 13h15, nous poursuivons notre périple vers 3 Roches et Marla sous un soleil radieux, encore et toujours… Belle et chaude montée pour quitter le village, ce qui éprouve sérieusement Stef, prêt à payer le prix de son début de déshydratation. Rapide calcul : « si 1% de déficit hydrique équivale à 10% de performance en moins, son niveau de déshydratation doit être proche des … 3 à 4 %... ». Nous ramons, quasi sans eau, sur cette portion des plus exigeantes. Soleil + pierres + terrain accidenté = 2 trailers au bord du chaos. Stef commence à envisager de louer une chambre à Cilaos ! Nous réduisons considérablement l’allure et rejoignons Marla vers 16h. 2h30 depuis Roche Plate, encore un record que Kilian aura du mal à battre. Je remplis mes gourdes, Stef ses dés à coudre, et grimpons le Taïbit. En chemin, nous croisons un randonneur qui nous informe que deux personnes « grosses », ce sont très précisément les termes qu’il emploie, sont en difficultés car en manque d’eau. Décidément, c’est la mode en ce moment, faudra penser à breveter Stef ! Bon, ok, mais comment reconnaître ces âmes égarées ? Quelques minutes de doute, de questionnement quand je reçois une, puis deux, puis trois pierres. - ça va Stef ? - Oui, tout va bien. Colles toi à la paroi. Le sol tremble, les oiseaux semblent apeurés, les branches ploient, un souffle d’air se déplace. Que se passe-t-il ? Un éboulement ? Une avalanche ? Un ULM en perdition ? Soudain, deux marcheurs nous font face, langues pendues, bave coulante. Leur silhouette me laisse à penser qu’ils sortent tout droit d’un McDo mais leur état montre qu’ils n’ont pas dû boire un verre de coca depuis ½ siècle… - Bonjour, c’est bien vous qui n’avez plus d’eau ? leur demandais-je, Les yeux éteints de la dame se ravivent, son visage s’illumine, son regard s’enflamme. - Oh merci, merci beaucoup, Je la sens heureuse, soulagée, reconnaissante. Son ami décline mon offre, l’orgueil masculin mal placé sans doute. Nous poursuivons, motivé à l’idée de retrouver la route d’ilet à Cordes avant la nuit. Chose faite à 18h15. En retard sur nos prévisions les plus pessimistes, nous rallions le Bloc par le merveilleux sentier du Bassin bleu et par le bleu sentier de la Roche Merveilleuse. Bonnes jambes, moral en hausse et température idéale pour cavaler la montagne. Nous réfugiant sous un kiosque, nous nous accordons la première pause après environ 12h d’efforts. Au menu, chaude soupe chinoise aux crevettes, enfin saveur crevettes, et vent glacial. Nous restons une petite heure dans notre refuge improvisé puis repartons pour la plus difficile portion du parcours. L’ascension du Piton des Neiges à 21h15, ça a quelque chose de fantastique, croyez-moi. Vue panoramique sur les baskets de Stef, discussion avec les dizaines de randonneurs que nous ne croisons pas, pause-photos que nous ne faisons pas. Non, très sérieusement, si vous souhaitez bosser votre mental à l’approche d’un ultra, engagez-vous sur ce sentier grande nuit et tant que vous y êtes, enchaînez avec le pierrier de Cap Anglais et la vertigineuse et humide descente d’Hell Bourg. Pour corser le tout, rajoutez-y une pincée de forêt de Cryptomérias sur lit de racines bien humides… Si vous pouvez, arrosez le tout et servez froid ! C’est un parfait régal ! Stef et moi avons goûté (au sens propre et au sens créole du terme), c’était succulent. Après de longues, que dis-je, d’interminables heures de progression, nous stoppons notre effort vers 2h30 du mat’, profitant d’un aimable kiosque nous tendant affectueusement ses bancs. L’heure est enfin venue, après près de 20h de galipettes, de tester ce fameux micro sommeil. Au programme, une bonne couverture de survie pour deux (la mienne ayant explosé à l’ouverture), deux chauds duvets pour … deux (pour une fois que quelque chose marche, il faut en parler) et 45 minutes de sieste réparatrice. Malheureusement, Morphée décide de me tourner le dos (tout comme Stéphane, mais là, je préfère) et ne finit par céder (je parle bien de Morphée) que 15 minutes avant la sonnerie du réveil. C’est peu mais ça fait un bien fou. Nous repartons et quittons notre gîte improvisé, le départ est des plus pénibles d’autant que la descente est particulièrement abrupte. Objectif : Ilet à Vidot. Nous croisons deux groupes de coureurs, préparant à coup sûr la Cimasalazienne, il est 3h45. Nous poursuivons vers la rivière puis nous attaquons la dernière grosse difficulté du jour, monter Grand Sable et rejoindre la route forestière menant au Col des Bœufs. L’effort est violent, la pente raide, mes jambes sont dures. Stef ne le sait probablement pas mais je suis au plus mal. Pas d’envie, pas de jus, plus de force. Je mets un pas devant l’autre sans trop savoir jusqu’où je pourrai aller. Stef prend le relai, il a l’air bien. Pour corser le tout, le sommeil me rattrape (à la vitesse où je vais, c’est pas bien dur !). Mes paupières sont lourdes, lourdes, ça pique aux yeux, je me surprends à tituber ; ça y est, je suis au Tor des Géants ! Je marche vers Morphée qui me tend affectueusement les bras et me souffle d’une voix si douce et attirante : « Viens mon petit, laisses-toi faire, abandonnes toi, je m’occupe de tout ». « Pardon, j’ai des gaz… » ; ça, c’est Stef, vous l’aurez reconnu. Je sursaute et me reprends, il faut que je dorme. J’envisage un micro arrêt mais il n’y a que des micro pierres autour de moi et surtout un macro vent ! Epuisé mais aussi affamé, je réclame à Stef une petite halte près de la rivière. Il est environ 6h15 du mat, c’est curieux, je m’identifie à la chèvre de Mr Seguin qui, après avoir lutté toute la nuit, s’abandonne au petit matin… Deuxième soupe « Mr Noodle » aux extraits de bœufs ou plutôt aux extraits d’herbes qu’ont ingurgité les bœufs un an avant de passer à la casserole (je parle des boeufs). Vous pouvez sans aucune crainte proposer ce breuvage à des végétariens, ils n’y verront que du feu. L’estomac plein (d’eau), nous repartons vers le col des bœufs (encore eux) pour un assaut ultime. Stef décide de stopper pour un arrêt technique dont je vous passe les détails croustillants ou coulants, c’est selon, pendant que je m’adonne à mon activité favorite, la cueillette de goyaviers. Un vrai régal, d’autant que je manque cruellement de sucre, et que je garde encore et toujours en bouche, le goût de cette fabuleuse soupe. Nous atteignons enfin le début du sentier Scout à 9h30 après une dernière montée assassine lorsque Stef m’annonce qu’il décide d’arrêter son périple, dégoûter à l’idée de devoir enchaîner trois longues heures de descente et 2 bonnes heures dans le lit de la rivière des Galets. De surcroît, il ressent une gène à l’arrière du genou, l’heure est à la sagesse, mieux vaut savoir renoncer tant qu’il en est encore temps. Toujours est-il qu’un nouveau record vient de tomber : 26 heures de course en montagne pour 11 000 m de dénivelé cumulé avec seulement … 3,26 l d’eau. Bravo, Stef ! mais ne serais-tu pas en train de préparer secrètement la prochaine Badwater ? Je reprends alors mon « petit bonhomme de chemin », seul, enfin si l’on fait abstraction des dizaines de convois de touristes que je croiserai en chemin. Viennent ensuite ces 4h30 d’efforts solitaires quasi sans intérêt, excepté le fait qu’ils m’apprendront que mes chaussures ne sont pas forcément les plus adaptées pour un terrain aussi caillouteux. Très bonne stabilité, parfait confort, superbe accroche mais semelle beaucoup trop tendre pour un « pied tendre » que je suis. Bref, on s’en fout. Ce raid se termine enfin à 14h05 lorsque je rallie l’embouchure de la rivière des Galets après 30h d’efforts et 15 petites minutes de sommeil. Aurais-je appris autant que ce que je souhaitais ? Je ne sais… Une certitude, ce raid n’était qu’une toute petite mise en bouche avant ce merveilleux et géantissime défi qui m’attend en Septembre : LE TOR DES GEANTS.
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commentaires

J
<br /> 3L d'eau en 21h.... Il en manque juste 10L.  ça va Steph, pas trop de lactique cette semaine? Bon, sinon, belle<br /> sortie ça. A refaire, tiens, en prépa de l'Himal race par exemple, ou pour le fun tout simplement <br />
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