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20 février 2023 1 20 /02 /février /2023 10:04
Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

En 2019, j’ai couru 1000km dans le désert mauritanien. Ce fut envoûtant. En 2022, Alain Gestin propose une rallonge de 200km. Le départ est donné à Atar en plein désert pour une arrivée à Nouadhibou sur la côte, 1200km plus loin donc, à parcourir en 20 jours, en passant par Chinguetti et l’œil de l’Afrique.

Le parcours est d’abord similaire à celui de 2019, ce qui me plaît moyennement car j’aime les nouveautés, puis une partie inconnue de moi, malheureusement courte, et enfin 400km de ligne droite le long d’une voie ferrée, ce qui n’est pas ma tasse de thé. De plus au tiers de la course, nous devrons nous grouper par 2 pour avoir une assistance tous les 20km par 4x4, or j’aime courir seule. Bref, je suis moyennement emballée.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Je me présente tout de même sur la ligne de départ. Nous sommes 10 participants.

Le vol depuis Paris nous amène à Nouakchott, capitale de la Mauritanie, à 4h du matin. Après une courte nuit, nous sommes transférés en 4x4 à Atar, et logeons dans une auberge en dehors de la ville. Le lendemain est consacré à la préparation de nos sacs.

En effet, sur les 400 premiers km, nous irons de CP en CP, une tente disposée tous les 20km avec natte, matelas, eau chaude et froide. On y trouvera de quoi grignoter des sardines et des dattes. Puis ce sera le fameux 4x4 pour 2 qui nous précèdera pour monter une tente similaire. L’organisation doit nous donner un repas chaud tous les 60km. Nous devons prévoir de petits sacs avec nos besoins immédiats, qui seront disponibles tous les 40km pour la 1° partie. Avec le 4x4, nous aurons accès à toutes nos affaires à tous les CP. Vous avez tout compris ? Heureusement c’est clair pour moi pour m’organiser.

Mes sacs sont déjà prêts, et par prudence j’en ai pour tous les CP où nous ne serons pas nourris. Hormis l’alimentation, ils contiennent des piles, de la pharmacie et des vêtements de rechange.

Pour 1200km, 57 CP m’attendent. Sur une pareille distance, je prévois du matériel de secours : 1 paire de chaussures, 1 lampe, 1 poche à eau et des bâtons en réserve, au cas où j’aie du mal à me traîner. La mise à disposition du 4x4 évite d’imaginer où je peux avoir un éventuel besoin de ces équipements, ils seront disponibles à ma convenance.

Ma nourriture est composée de préparations maison, basées sur un mélange de purée déshydratée ou semoule, soupe déshydratée, poudre d’amande et spiruline, ce qui est complet et énergétique, et de quelques plats lyophilisés pour varier les menus, bien que je ne sois pas fana de cette pratique. Des biscuits protéinés pour dénutrition complètent le tout.

La protection solaire et contre le sable prime. Je cours en manches longues, collant long, grande casquette saharienne que j’accroche au maillot avec des épingles à nourrice en cas de vent, c’est-à-dire la majeure partie du temps, bonnes lunettes de soleil, et de grandes guêtres cousues sur les chaussures et qui s’insèrent sous le collant. J’enfile une veste la nuit, quand ça rafraichit. Avec ça je suis parée pour des températures comprises entre 45° et 10°.

J’ai bien l’intention de bichonner mes pieds. Je protège les endroits sensibles avec de l’élastoplast, derrière les 2 talons. Je les enduis de crème anti-frottement. Et je teste grandeur nature de nouvelles chaussettes en laine de Mérinos, qui restent sèchent et sentent bon.

Mon sac de course est léger. Il contient une veste, un bonnet, 2 lampes, des piles, un peu de pharmacie dont de quoi soigner les ampoules, un tube de crème anti-frottement, une couverture de survie, un mini tube de crème solaire, le ravitaillement du CP impair suivant, un paquet de nouilles chinoises comme repas d’urgence, des noix de cajou comme ration de survie. Et bien sûr de l’eau, 1.5 litres par CP de jour et 1 litre par CP de nuit, ce qui paraît peu mais me suffit.

Nous nous dirigeons au GPS, sur des points définis tous les 10 ou 20 km, suivant la nature du terrain. Mon GPS est un antique Garmin Foretrex 101, qui fonctionne très bien, mais je dois saisir manuellement 167 points. Cela m’a occupé quelques soirées. Et ô surprise, je suis la seule à avoir le nom des CP dessus par rapport à l’import numérique des données, si bien qu’on me demande souvent à quel CP on est et à quel CP on va. A croire qu’il n’y a que moi qui suis ma progression.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Le départ est donné le lundi 30 octobre à 8h, sur la place du marché à Atar, suscitant la curiosité de la population, direction Chinguetti. La passe d’Amodjar n’est malheureusement pas accessible par la montagne pour cause d’éboulement, nous devons suivre la piste.

Je pars en trottinant, et Atar s’éloigne rapidement. Le CP1 est au pied de la montée d’Amodjar. Marion, notre dynamique médecin, nous y attend avec un délicieux pain d’épices maison. Nous y arrivons assez groupés, ce qui ne va pas durer. Les montagnes noires sur fond de sable sont splendides.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

La grimpette est rude et je n’arrive pas à marcher vite. D’ailleurs Benoît me double, et Eric passe comme une flèche. Quant à Takao, il est déjà sujet à des problèmes digestifs, et n’a guère de place pour planquer ses fesses à l’air.

Plus loin je me retrouve à partager un bout de chemin avec Benoît. Quand je trottine, je passe devant lui et quand je marche, il passe devant moi. Décidément, je lambine. Je n’arrive pas à accélérer et j’ai les jambes bien lourdes. A l’arrêt aux CP, ça fourmille à max dans mes mollets, sensation anormale et très désagréable. Je suis dépitée. Pourtant je n’ai jamais eu de problème d’adaptation à la chaleur.

Au CP2, une boîte de raviolis froids m’attend, un vrai régal.

Au CP3, je retrouve Dominique qui devrait caracoler loin devant. Il n’est pas bien du tout et abandonne. Mince alors.

Je double Patrice qui a un coup de mou. Il me redoublera peu après. Il ne court pas mais marche vite et je ne peux pas le suivre.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

La nuit tombe. La lune est presque pleine, on y voit bien, j’en profite pour ne pas utiliser ma lampe. J’aime courir la nuit sans éclairage, dès que c’est possible. Le GPS est également inutile puisque je suis la piste.

Et justement, voilà un carrefour évidemment sans direction indiquée. Par contre il y a un grand panneau pour l’auberge de Ouadane à gauche toute. Je ne vais pas à Ouadane, je continue donc tout droit.

Puis une lueur apparaît au loin, ce sont certainement les lumières de Chinguetti. Je continue à trottiner. J’arrive à un contrôle routier. Les policiers m’encouragent et me souhaite la bienvenue à Chinguetti. C’est une petite ville réputée pour ses très vieilles bibliothèques, dont les livres se conservent bien dans ce climat très sec désertique. Mais je ne suis pas là pour faire du tourisme.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Dès qu’on entre dans la ville, le terrain devient très sableux. Le CP est dans une auberge, aux premières maisons. Un monsieur me fait signe que c’est bien là. J’ai fait 100 km.

Dominique me tombe dessus. Ai-je vu Patrice et Eric, censés être tous les 2 devant moi ? Eh non. S’ils ne sont pas là, j’en conclus qu’ils sont tout bonnement allés à Ouadane, ces nigauds. Personne au CP n’avait pensé à cette éventualité. J’ai raison. Ils débarqueront 1 heure plus tard, rapatriés en 4x4.

Le temps pour moi de prendre un bon repas offert par l’aubergiste et 1 heure de repos, où je ne parviens pas à dormir avec cette agitation.

 

Je repars à minuit. Fini la piste, place maintenant à du bon sable bien mou. Je dois allumer ma lampe.

Je pars plein est, tout d’abord dans un fond de vallée, puis je grimpe une dune - la première ! – tout droit le long d’une clôture d’une plantation de dattiers. La nuit se poursuit dans une succession de dunettes. Je vois encore longtemps les lumières de Chinguetti derrière moi. Je passe devant quelques maisons, bien endormies.

Dès que je lève le nez, je suis sous une pluie d’étoiles filantes. C’est magique. Ca me requinque le moral, car je suis toujours dans un état d’avancement très lent et pénible.

Le jour se lève juste avant d’arriver au CP6. Je passe un barbelé et traverse une plantation de pastèque, parsemée de coloquintes. Je suis sur le même parcours qu’en 2019, et je reconnais même l’arbre sous lequel est le CP. Au menu, ma préparation à base de purée, que je complète avec des sardines, puisqu’il y en a. Cela augmentera l’apport en protéines.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Je repars dans une longue plaine entre des cordons de belles dunes. Pourtant je reste insensible à mon environnement. Je ne suis toujours pas dans les clous physiquement, je m’oblige à courir sur ce terrain facile, et de plus je connais le chemin, au point que j’éteins mon GPS. Je n’en ai pas besoin, le cap du CP7 m’est connu. Je n’ai même pas le plaisir de la navigation, je subis le « déjà vu ».

Le vent est fort et je l’ai de face, ce qui ne me gêne pas mais me ralentit encore plus. Je l’aurai ainsi jusqu’au km 400.

Je retrouve Patrice et Eric qui se sont alliés, mais nous ne prenons pas le même chemin. Un beau champ de dunes blondes m’attend, que je traverse, alors qu’ils le contournent. J’adore les dunes, mais cette fois je n’y éprouve aucune satisfaction. Je dois me forcer à lever les yeux de mes pieds.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Alors là, cela devient inquiétant. Si c’est comme ça sur 1200km, autant arrêter. Comme j’ai un billet d’avion retour par Casablanca, je ferai mieux d’aller crapahuter dans l’Atlas. Mais c’est quoi ces idées ? Je pourrai aussi basculer la course en rando tranquille. Tout cela tournicote dans ma tête.

Pour l’instant, j’arrive au pied de la dernière montée pierreuse, avant une belle descente qui m’amène en fin d’après-midi au village de Tanouchert et à son auberge où est le CP8.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Normalement, j’aurais dû y faire un arrêt de 2 heures. Mais puisque que j’adopte la rando tranquille, une douche s’impose. L’eau promise au pommeau n’est pas au rendez-vous, ce sera au seau.

Un bon couscous est servi. Ce qu’on appelle couscous est de la semoule avec des patates douces et des légumes, mais pas de viande. Puis je m’installe pour une nuit de sommeil.

Entre temps Patrice et Eric arrivent enfin. Ils repartiront rapidement. Puis c’est au tour de Takao de se pointer, et même Benoît. J’ai enfin un sursaut bénéfique, il est temps que mes histoires psychologiques prennent fin, je ne peux plus rester sur place. Je me lève et donne mon matelas à Benoît qui râlait parce qu’il allait se coucher par terre. Mais impossible de trouver le cuistot pour avoir à manger avant de repartir. J’appelle, je klaxonne au 4x4, je fais le tour de l’auberge. Personne. Je finis par dégoter sa chambre, où il pionce dur.

Il est minuit. Je repars cette fois pleine d’énergie. Enfin ! Je cours allègrement. Par contre je suis toujours en terrain connu, ce qui est négatif. Je sors de la clôture de l’oasis et me tape la même petite dune à 4 pattes qu’il y a 3 ans… Avant une bonne surface plus plate.

Les étoiles filantes fusent de nouveau. Ma liste de vœux est largement insuffisante pour y pourvoir.

Le jour pointe après le CP9. C’est un moment très agréable, avant que le soleil n’apparaisse de face. Il fait encore frais et les couleurs du sable et du ciel sont magnifiques.

Deux gerbilles sortent de leur terrier à la fraîche et s’enfuient devant moi.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Eric a des chaussures énormes, et j’ai l’impression de suivre les traces d’un dinosaure. Même dans les passages de cailloux, elles sont marquées. Malheureusement pour lui, ses pieds ne les aiment pas et il va beaucoup en souffrir.

Je vise l’antenne qui surplombe le gros village de Ouadane. Je dévale la rue toute en sable vers l’auberge du CP10, tellement vite que je passe devant, bien que je la cherche. J’entends des femmes qui crient derrière moi. Stop stop, c’est là. J’ai fait 200km.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Marion est là. J’en profite pour faire un contrôle de mes petons avec elle. Ils se portent très bien. L’élasto qui protège l’arrière de mon talon gauche est efficace. J’y ai eu une grosse ampoule sur la 1000, et la zone est toujours sensible. Mais ça tient bon.

J’ai le droit à un dessert de musli lyophilisé, laissé par un coureur précédent, ça ne peut être qu’Eric.

Ouadane est dans une vallée dont je suis l’oued parsemé de quelques épineux. C’est une région d’élevage, j’y croise quelques beaux troupeaux de chameaux, qui se débrouillent par eux-mêmes.

J’y découvre aussi de magnifiques fourmis argentées, très brillantes. Je resterais bien à les observer, mais ce n’est pas le moment.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Je me dirige vers un gros cordon de dunes et le CP11, porte d’entrée du guelb de Richat, l’œil de l’Afrique. Le guelb est une dépression parfaitement circulaire de 60km de diamètre d’origine volcanique, formée d’anneaux concentriques et entourée de plusieurs cordons de dunes.

Je passe quelques habitations fort précaires en branchages, et un grand troupeau de chameaux avec son chamelier, puis une petite dune, et me voilà dans le guelb. J’attendais ce moment, car j’en avais été subjuguée en 2019. Et là, je n’ai rien reconnu. J’ai vainement cherché les petits cailloux multicolores, ils ont disparu.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Je traverse une zone boisée, je dois même faire évoluer ma trajectoire en fonction des bosquets.

Takao apparaît soudain devant, sur ma gauche. Nos directions sont parallèles, mais assez éloignées. Il court un peu, mais je vais nettement plus vite et je le double assez rapidement car je progresse bien. Je ne sais pas s’il m’a vue.

Avec cette végétation, je croise quelques habitations et quelques gamins. Le CP est à côté. Au moment de repartir arrive Eric. Il aimerait partir avec moi car il ne veut pas faire la nuit caillouteuse tout seul. Mais je cours et il ne pourra pas me suivre. Peut-être qu’il attendra Takao qui ne devrait pas tarder ou Benoît.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Ca commence par monter fort tout droit dans les pierres, jusqu’à la piste 4x4, dans un sable très mou, encaissée entre 2 cordons de dunes. Il fait nuit. Je dois tourner bientôt, mais je n’entends pas le bip du changement de direction annoncé par le GPS. Je dois donc faire demi-tour, et cela s’avère toujours  compliqué de rattraper une nouvelle direction de nuit et face à une grosse dune. Je reviens donc sur mes pas pour retrouver l’endroit exact où j’aurais dû bifurquer, il doit y avoir un passage plus aisé.

A ce moment arrive un 4x4 en face de moi. A ma grande surprise, c’est un de nos chauffeurs. Il me conseille de continuer sur la piste. Mais non, c’est justement ce que je ne veux pas faire et il ne comprend pas ma démarche. De son côté, il va à Ouadane chercher du pain. En pleine nuit… En fait il va voir sa femme.

Je quitte donc la piste de bon coeur et je progresse sur un plateau couvert de pierres noires. C’est difficile d’y courir et ça me ralentit.

Puis c’est la dernière montée très raide vers le CP12, la maison de Théodore Monod. La tente est installée à côté de la petite maison de pierre. J’y trouve le cuisinier dormant profondément, J’ai du mal à le réveiller. Il est seul, le chauffeur étant parti en goguette à Ouadane.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Eric pointe pendant mon sommeil. Je lui conseille de prendre le matelas du cuisinier, car c’est pour nous, et il hésitait. Puis arrivera Takao, juste avant que je reparte au petit jour. Eric se joint à moi cette fois. Voilà aussi le chauffeur, de retour de la boulangerie. Le pain frais de la nuit, c’est trop tard pour nous.

Nous continuons dans le relief pierreux pendant un moment, avant de traverser une zone bien plate. Eric est un compagnon agréable, mais je ne parle pas beaucoup. L’air est trop sec, et dès que j’ouvre la bouche, je dois boire beaucoup plus que la normale.

Une zone de tan, étendue humide asséchée, à traverser se présente. La surface paraît dure, mais J’y enfonce l’épaisseur de la semelle de mes chaussures. Eric sonde avec ses bâtons, car il est beaucoup plus lourd que moi. Nous passons sans plus d’encombre. Ce ne sera pas le cas de tout le monde. Suivant le point de traversée, certains s’enfonceront jusqu’aux genoux. On s’en tire bien.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Nous atteignons le CP13 installé sous un arbre, abandonné. On se débrouille avec la théière et le réchaud pour s’alimenter. Un 4x4 arrive, c’est le chauffeur du CP et son aide, qui repartent tout de suite. Ils cherchent Patrice, qui est devant. C’est quoi cette histoire ?

En fait un 4x4 s’est embourbé dans le guelb, et c’est panique à bord dans l’organisation, mais on ne s’en aperçoit pas encore. Si nous avons trouvé une tente vide, Patrice est au CP14, sans tente.

Nous repartons, encore une portion plate avant de monter une dune tout droit, et d’en longer le bord supérieur. Nous quittons définitivement le guelb sur un plateau de nouveau pierreux, pour le CP14.

Pour nous la tente est en place et il y a de quoi se restaurer.

Eric a très mal aux pieds et une tendinite au releveur. Il ralentit et ne peut plus me suivre. Mon releveur côté droit commence aussi à se faire sentir. Pour les néophytes, c’est le tendon qui permet d’abaisser et relever le pied, on le sent sur l’avant de la jambe. Ca ne me gêne pas et ne m’empêche pas de courir.

Je passe le CP15 de nuit, et j’arrive au CP16 en fin de matinée suivante. Et ô surprise, Patrice m’attend devant la tente, assis sur une chaise, torse nu en plein soleil. La tente est vide, à part de l’eau, une théière et un réchaud. Il m’explique qu’il n’y a plus de logistique devant pour nous, ce qui signifie pas de tente et pas d’eau. Il n’y a plus qu’à attendre au CP16.

Quel dommage, j’ai retrouvé toute mon énergie et je ne demande qu’à carburer.

La voiture embourbée monopolise toutes les ressources. Ils mettront 24 heures à la sortir, avec des renforts venus de Ouadane.

Pendant ce temps, nous, on poireaute. La compagnie augmente, Eric se pointe, suivi par Takao. Un 4x4 arrive enfin, il va nous monter le CP suivant. Par hasard il transporte la valise de Takao, qui nous partage son ravitaillement japonais. Les mangues sous vide sont bienvenues et délicieuses.

Nous pouvons repartir. Takao aime beaucoup se filmer, je lui propose de le faire pour lui au lieu d’être limité par la longueur de sa perche.

Il est rapidement largué en termes de vitesse, et nous continuons à 3 jusqu’au CP17, en bavardant, ou nous arrivons en fin d’après-midi. Et voilà que ça se peuple. Un 4x4 amène Alain et Marion. C’est ainsi que nous apprenons les boueuses péripéties. Donc nous pouvons aller jusqu’au CP suivant, qui est dans un ancien fort militaire où il y a des puits, il n’y a pas besoin de tente pour avoir de l’ombre, mais il n’y a rien d’autre, et surtout pas d’eau potable.

Patrice part tout de suite. Je préfère faire une pause d’une heure. Eric et Takao restent sur place. Je n’ai pas besoin des soins de Marion, je strappe moi-même ma tendinite.

Je cours facilement en repartant. J’arrive à un petit terrain d’aviation dans le sable, balisé par des pierres, que je n’avais pas vu en 2019 car j’étais passée là de nuit. D’ailleurs elle arrive, avant que J’atteigne l’entrée d’un magnifique canyon au fond très sableux, qui plonge entre 2 parois de rochers noirs. Le sol est très mou, passage obligé des 4x4. Il fait bien 8km de long. Je ne peux guère y courir.

Les piles de mon GPS sont déchargées avant le CP, mais je n’ai n’en pas besoin et je continue sans indication de direction ni de distance jusqu’au fort, je me souviens parfaitement du chemin.

J’amorce le changement de direction vers l’ouest, et le fort apparaît sur ma droite. Il y a plusieurs bâtiments, je ne sais pas dans lequel sera installé le CP, ni où est Patrice. J’inspecte toutes les salles, avant d’apercevoir une petite lumière tout au bout. C’est là qu’il s’est installé. Il a trouvé un tas de sable sur le sol en terre battue bien dur, de quoi faire un matelas.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Nous n’avons plus qu’à essayer de dormir pour attendre. Le matelas est tout de même inconfortable, et j’ai mal partout. Un 4x4 finit par arriver. Il nous dépose de l’eau et une natte. Le sol est toujours bien dur. Il repart aussitôt. Un autre se pointe. Je demande au chauffeur s’il a un matelas. Il allait nous quitter sans nous en laisser. Nous récupérons un matelas, qu’on partage à 2.

Enfin le staff débarque, Alain, Marion et Patrick. Comme par hasard, les matelas se multiplient.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Le jour se lève et nous ne partons toujours pas, la logistique n’étant pas assurée à l’avant. J’en profite pour prendre une « douche » au puits. L’eau n’est pas profonde est cela s’avère facile de remonter le jerrican plein. Il est percé au fond, laissant couler le liquide comme au robinet.

Puis arrivent Eric, Benoît et Jacques. Takao, théoriquement devant eux, pointe absent. Il y a aussi beaucoup de chauffeurs maintenant. L’un d’eux l’a vu en fin de nuit à la sortie du canyon. Je fais remarquer qu’il n’y avait aucune lumière à ce CP 18. A tous les coups il est passé devant le fort sans le voir et doit être maintenant au CP19, tout seul. Alain finit par y envoyer un véhicule pour le récupérer le ramener au fort, pour le remmener finalement au CP 19, manœuvre incompréhensible. Ce qui fait qu’il a 1 CP d’avance sur nous, qui avons sagement poireauté.

C’est à partir de maintenant que nous devons nous grouper pour être précédés par un 4x4 perso qui transporte nos affaires. Les duos sont faits par niveau, on m’octroie donc Patrice. Notre chauffeur sera Ismaël et le cuisinier Bolé.

Nous repartons à midi ensemble. Ce qui me fera en tout 20 heures de course perdues.

Pendant ce temps et à l’abri de ces péripéties, Marco caracole en tête loin devant désormais avec sa voiture suiveuse particulière, et impossible à rattraper.

Patrice et moi n’avons pas la même gestion de course, mais nous devons nous entendre. Il marche et dort peu et dans le sable, je cours et je dors dans les CP. Comme le côté course et performance n’est plus d’actualité, nous décidons d’un commun accord de profiter de la suite du parcours, en marchant et en dormant correctement.

Patrice progressant plus vite que moi, il donne le rythme. Ayant besoin de plus de sommeil que lui, j’organise les repos, et toujours dans les CP : 30 minutes après le CP du matin, 1 heure après le CP de l’après-midi et 4h la nuit. De plus comme un véhicule nous suit avec toutes nos affaires personnelles, il n’y a plus grand-chose à porter sur soi, le sac est allégé. Bref, on va se la couler douce.

 

Nous changeons de direction pour se diriger plein ouest, vent dans le dos et soleil brûlant de face l’après-midi. Nous retournons vers Atar, de l’autre côté du massif de l’Adrar que nous contournons. Je retrouve à main gauche les montagnes noires et à main droite un magnifique cordon de dunes blondes.

D’ailleurs je m’y dirige sur un terrain très sableux, où je trouve le CP19, bien planqué sous un arbre.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Ismaël parle peu français, Bolé le pratique bien. Il sera donc notre interlocuteur privilégié. Il nous apprend qu’il a la consigne de ne pas nous nourrir, même pas tous les 60 km, comme prévu. Heureusement Patrice et moi avons de quoi nous sustenter par nos propres moyens pour tous les CP.

L’ordre des choses que nous faisons au CP est immuable : manger puis dormir. C’est au moment de partir que notre staff mange, et Bolé nous en propose tout de même gentiment. Mais c’est trop tard, notre repas est déjà pris et nous ne traînons pas sous la tente.

Le CP20 me rapproche de la montagne, dont je longe la base beaucoup plus caillouteuse. C’est dans ce coin que je m’étais fourvoyée par inadvertance en 2019, de nuit, et j’avais bien galéré. Mais cette fois, tout se passe facilement, de nuit également.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Néanmoins, nous passons le point du CP. Nous faisons demi-tour, et nous finissons par dénicher la tente sous des arbres. Bolé n’y a pas mis de lumière, et elle est invisible. Nous tombons d’abord sur Ismaël, qui dort très profondément sur son lit de camp dehors. C’est son habitude. Dans la tente, Bolé pionce, tout aussi intensément. Je le réveille, et nous lui expliquons qu’il doit toujours mettre un éclairage la nuit à l’entrée de la tente. Il va falloir qu’il apprenne le métier.

Je repars en douce montée, qui mène en haut du surplomb d’un très joli petit canyon. Il y a beaucoup de pierres, il vaut mieux suivre la piste qui serpente. Puis c’est la descente dans la plaine du village d’El Bayyed, et je retrouve le sable. Je longe les dunes, à ma droite.

Le village apparaît au loin sur la gauche dans les arbres, avec sa mosquée. Une jeune femme vient à notre rencontre, ses voiles flottant dans le vent. Elle vend de petits bracelets de perle. Ce ne sera pas pour moi. Je n’ai même pas un Ouguiya mauritanien sur moi.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

J’arrive au puits, signe de la bonne douche tant attendue. L’exercice s’avère périlleux, sans mettre les pieds dans le sable brûlant ni dans l’eau. Je repars toute pimpante, avec collant et maillot humides qui vont me tenir au frais un bref moment.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Je croise une armada de 4x4 touristiques. Ils ont l’air de bien s’amuser à conduire dans le sable.

La végétation est omniprésente et le CP21 est à l’ombre. Je dois me protéger du vent pour réhydrater ma purée sans que mon repas ne s’envole.

Je repars après une courte pause. Le sable est plutôt mou dans le secteur.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Les CP défilent, assez plats et avec quelques arbres. Avec Patrice nous progressons d’un bon pas, sans difficulté pour moi, je ne sens plus du tout ma tendinite au releveur. Patrice a mal aux pieds, il supporte.

C’est facile pour moi, je n’ai qu’à le suivre, il est devant, je n’ai même pas besoin d’utiliser le GPS, je confirme juste la direction, notamment la nuit.

De temps en temps j’entends le tuut caractéristique du Sirli, petit oiseau gris difficile à voir dans le sable. Je le connais maintenant, et je le repère facilement. C’est toujours un grand plaisir de l’entendre dans cet environnement silencieux.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Je vois un beau cap à viser, une grosse tache blanche droit devant. Mais… mon cap bouge ! C’est un chameau en goguette. Les chameaux ne sont pas tous marron.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Et soudain, des gazelles du désert ! Je m’approche d’un petit troupeau avec des longues cornes qui s’enfuient devant moi. A y voir de plus de plus près, ce ne sont que des ânes et leurs oreilles. Certes, j’ai une mauvaise vue, l’illusion aura été de courte durée.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Aujoud’hui, Secma, le chef des chauffeurs, est passé au CP. Il a amené du ravitaillement pour ses hommes. J’ai le droit à une mandarine comme faveur.

Cependant Bolé a décidé d’améliorer mon régime frugal. Le soir il fait du pain dans une marmite sur son réchaud. En plus, il le réchauffe pour le « petit déj », juste avant de partir dans la nuit. Accompagné de dattes, c’est délicieux.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Désormais quand j’arrive aux CP de nuit, une tente est dressée à côté de la mienne. C’est celle de Takao que je rattrape petit à petit, ce dont je n’ai pas douté un instant, car je suis plus rapide que lui. Ca va prendre plusieurs jours de le dépasser complètement. Mais je ne le vois jamais, comme nous avons des tentes et un staff différent, ce qui n’est pas très convivial. J’ai des nouvelles uniquement par Bolé.

De temps en temps je croise un squelette de dromadaire. Cette fois, il est même « frais », avec tous ses poils. Le climat très sec le conserve longtemps, et sans odeur.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Au CP25, le trajet se rapproche des dunes pour éviter la traversée du lac salé, qui est paraît-il boueux.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Le CP27 est dans un village, bien qu’on n’y voie aucune âme qui vive. Le 4x4 nous attend au sommet d’une petite côte. Le chauffeur annonce nous emmener en voiture pour ce CP, en compensation du temps perdu. Mais je n’ai pas demandé de compensation ! Surtout que ce CP est très pierreux, ce que j’adore. Pas de discussion possible et patience pour manger.

La position assise sur un siège est toujours pénible sur les courses longue distance quand on n’enlève pas ses chaussures. Le dessous des pieds se met à brûler. Néanmoins autant profiter de ce court répit pour dormir, même si le terrain me secoue dans tous les sens. Je ne verrai pas le moindre contour d’un caillou, plongée dans mon demi-sommeil.

La pause ravito se fait au CP28, à l’ombre de la voiture.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Je croise un grand troupeau de chèvres gardées par de jeunes bergers. Ils tentent quelques mots de français.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

J’arrive au CP29 en fin d’après-midi. Alain et Marion nous attendent. Elle vérifie l’état de mes pieds, tout va bien. Je ne lui donne pas beaucoup de travail. Elle intervient en plein vent, par terre, dans le sable. Je suis allongée sur le ventre sur la natte, le pied posé sur un sac.

Alain propose un CP de compensation… Mais on l’a déjà eu ! En fait c’était celui destiné à Takao et notre chauffeur a vraisemblablement copié. Plutôt qu’une compensation, je préfère que Bolé me nourrisse. Je serai entendue, et il le fera désormais de bon cœur.

Je quitte la plaine pour passer au nord d’Atar. La boucle est bouclée.

Au CP30, km 600, je change de chaussettes, comme toutes les 200 bornes. Je suis très satisfaite des Mérinos, toujours agréables au bout de 200km.

J’aborde une zone assez boisée. Le sol est recouvert de magnifiques dalles bleues. J’y trouve aussi un endroit plein de petits coquillages. Plus loin, les dalles sont oranges, puis vertes.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Le chemin vers le CP31 suit une grande oasis, et moi je suis sa clôture. Puis c’est le lit d’un oued, très sableux.

Vers minuit, un vieux 4x4 qui transporte une citerne d’eau s’arrête à ma hauteur. Le monsieur, d’un certain âge, ne parle pas du tout français, mais je comprends qu’il me demande où je vais et qu’il est prêt à me prendre à bord. Choum, Choum, je vais à Choum, certes, c’est encore un peu loin, et non, je ne monte pas.

J’arrive de nuit au CP33, dans un village. La tente est dressée au milieu des maisons en pierre. Ce n’est pas pour ça qu’il y a du monde. Les gens doivent être sur place uniquement au moment de la récolte des dattes. Au réveil, le jour pointe, et je suis étonnée de me trouver au milieu d’habitations. Je commence à ne plus me souvenir de ce qui se passe avant de plonger dans mon court sommeil réparateur, dont les 4 heures quotidiennes peuvent s’avérer un peu brèves.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

La route goudronnée qui relie Atar à Choum est toute proche. Je l’emprunte sur 4km, marquant un changement de direction vers le nord, la frontière marocaine et le fameux train de minerai de fer. Elle descend une belle falaise en lacets avec une vue splendide sur la plaine, encaissée entre deux bords de monts noirs.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Je trouve un passage dans les cailloux pour couper les virages. En haut, Ismaël s’est arrêté et me fait de grands signes sympathiques.

Il est tôt et il y a peu de circulation, juste quelques taxis brousse, et une gerboise qui pointe son museau parmi les pierres.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

J’arrive dans la vallée, dans un village. Je quitte la route, passe les quelques maisons éparses, et bute sur le coin d’une clôture, juste sur ma trajecoire. Je décide de passer sur la droite. Puis le GPS m’envoie en plein sur un joli mont de pierres noires. J’aime ça. Mais mon acolyte Patrice n’aime pas. Je lui propose de le contourner par la gauche, mais pour finir il va droit dessus. Je grimpe sans difficulté dans le pierrier. Patrice peine derrière. La descente de l’autre côté s’avère abrupte, voire carrément verticale à certains endroits. Je sautille de pierre en pierre, alors que Patrice souffre.

La plaine en bas est boisée. J’attends Patrice. Peu de temps après, il paie son exploit montagnard et préfère s’arrêter à l’ombre pour souffler. Je continue et il me rejoindra au CP. Nous ne sommes pas obligés d’aller à la même vitesse.

La direction est parallèle à la route principale de Choum d’un côté, avec la montagne en fond à tribord, et à l’autre ligne de montagne à bâbord. C’est très beau.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Le CP34 est sous un grand arbre. Ismaël ne comprend pas que je m’y pointe seule. J’ai beau lui expliquer que Patrice a eu besoin de se reposer et qu’il va arriver, il ne conçoit pas. Il va arriver quand ? Mais je n’en sais rien. Au bout de 2 minutes, Ismaël panique et part en 4x4 à la recherche de l’absent. Les chauffeurs doivent avoir la hantise du coureur qui se perd dans le désert.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Patrice apparaît tranquillement comme prévu, au bout de 20 minutes, pas du tout par la piste de la voiture. Ismaël revient après, évidemment sans l’avoir trouvé.  Il aura compris que nous avons le droit de ne pas toujours être ensemble.

Du coup ma sieste du midi en est rallongée.

La suite du terrain sera beaucoup plus plate.

Le soir et le CP36 me rapprochent de Choum. J’y passe au plus près à 2 km. Cette petite ville s’est développée grâce au train de la mine de fer.  Ca y est, je bute sur la fameuse ligne de chemin de fer, et ce juste au moment où arrive un train. Mon premier !

Je l’entends émerger de loin. Une antique locomotive tire quelques wagons citerne, il n’est pas très long. C’est le train de l’eau, qui va approvisionner la mine au milieu du désert.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Changement radical de direction puisque je ne passe pas la ligne, ce sera désormais plein ouest jusqu’à la mer, pendant 400km le long du train. Les 400 derniers km ! Une bagatelle. J’ai l’impression d’être très proche de la fin, car ce sera peu varié.

Le CP37 est la première nuit le long du chemin de fer. Le terrain est plat et sans difficulté. Je longe le monolithe de Ben Amera, très beau paraît-il mais je ne le verrai pas de nuit. C’est un des plus grands du monde.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

J’arrive au CP38 au petit matin. Je traverse le village de Ben Amera. J’y trouve quelques minuscules commerces, tous fermés à cette heure matinale. D’ailleurs il n’y a personne en vue. Comme à tous les endroits où la circulation s’intensifie, le sable y devient très mou, ce qui rend la marche plus difficile. Et comme à tous les endroits habités, les déchets sont omniprésents par terre, beaucoup de plastiques, des bouteilles, des vieilles savates.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Le CP39 marque les 800km. J’y ai prévu un changement complet de tenue. J’abandonne avec regret le maillot X-Bionic rose pour un raidlight à manches longues, moins bien mais propre et confortable. Je troque mon vieux collant qui a bien tenu le coup contre un neuf plus sayant.

Patrice a maintenant très mal aux pieds. Cela ralentit notre moyenne horaire. Après chaque arrêt, il doit se « chauffer les pieds », le temps que la forte douleur devienne plus supportable. Cela prend bien une demi-heure pour faire 2km. Puis nous pouvons accélérer plus normalement. Jusqu’ici il était en tête, maintenant c’est moi qui mène. Lorsqu’il désire faire une petite pause, je continue doucement jusqu’à ce qu’il me rattrape. Ce n’est toujours pas mon truc de m’assoir dans le sable pour attendre.

Il demande aussi quelques fois un arrêt plus long que ce qui devrait être, signe de fatigue. Pourtant il est réputé avoir besoin de dormir beaucoup moins que moi.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Je ne peux pas rater les trains. Je les entends arriver de très loin. Le jour un gros nuage de poussière s’élève, et la nuit, ils ont des phares très puissants. Ils sont impressionnants. 3 michelines tirent 2 km de wagons chargés de minerai de fer. Les conducteurs vont me connaître au bout de quelques jours et me font de grands signes de la main. Il y a aussi des passagers installés sur le chargement des wagons pour voyager gratuitement, baignant dans la poussière et le soleil. Il y a 7 trains par jour dans les 2 sens, en majorité la nuit. La ligne est longue de 704 kilomètres, elle relie les mines de fer de Zouerate au port minéralier de Nouadhibou. Ces trains sont parmi les plus longs du monde.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Le village suivant de Temeimichat se trouve 100km plus loin. J’y suis dans la matinée. Il y a de l’activité. Les gamins jouent, les boutiques sont ouvertes, les hommes sont assis par terre devant, quelques biquettes traînent, les femmes sont invisibles. Un train est « en gare », les denrées des commerçants sont en cours de chargement pour ravitailler ceux des villages de la mine. Le conducteur me propose de visiter son train. Désolée, je n’ai pas vraiment le temps de musarder.

Comme dans tous les villages, je m’enfonce dans le sable. J’ai hâte d’en sortir.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Je chemine le long de la ligne unique de chemin de fer après, le sable juste à côté est assez dur. Mais il s’avère plus facile de marcher sur la voie elle-même, malgré le panneau d’interdiction d’y évoluer. En fait elle paraît minuscule quand on est dessus, sous-proportionnée par rapport à la puissance qui y circule. Puis la ligne s’incurve, et je la quitte pour couper tout droit.

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De petits panneaux indiquent les km le long de la voie. Je peux les voir quand je la suis d’assez près. Les premiers sont dans les 480km. Il n’y a pas de quoi me saper le moral sur la distance ni sur une avancée qui pourrait sembler lente. Cela n’a pas d’emprise psychologique sur moi.

Beaucoup de traverses et de morceaux de rail jonchent le sol. Mais ce n’est pas toujours perdu. Les traverses servent de charpente aux petites maisons regroupées ici et là. Parfois il n’y a plus que la charpente elle-même. On les croirait abandonnées, mais que nenni. Il paraît que les habitants y viennent en villégiature.

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Les CP vont se succéder jusqu’au n° 57 pendant 6 jours, mais je ne les compte pas. Je vis au quotidien.

Comme le paysage devient monotone, c’est la température qui rythme les journées. Le CP du matin est le plus agréable, à la fraîche. Avec Patrice nous papotons. Le départ de l’après-midi est plus difficile en pleine chaleur, mais cela ne me gêne pas trop. Patrice en souffre beaucoup plus que moi. Le soleil incandescent passe son cap droit devant. Je marche en m’en protégeant le plus possible, la tête baissée et le cache-nuque de la casquette bien fixé au maillot, surtout quand il y a du vent. Je ne pipe pas un mot, l’air est trop brûlant pour ouvrir la bouche. Je me contente de chanter dans ma tête. Et heureusement, boire de l’eau chaude ne me gêne pas. La nuit, un coupe-vent suffit. Patrice me demande de lui parler beaucoup pour ne pas penser à ses maux de pied. Moi qui ne suis pas bavarde, je me découvre un talent d’oratrice nocturne et je monologue durant tout le trajet.

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De temps en temps de petites fleurs surgissent du sable, par taches blanches, jaunes, rouges. Ou une dune apparaît, variant les couleurs de sable. Il y a aussi beaucoup de traces de petites bêtes, mais j’en vois très peu, insectes, scarabées, lézards. Aucun chameau ni troupeau en vue sur tout le parcours, malgré un puits croisé.

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Un soir vers 20h, par nuit noire, il y a longtemps que la lune n’est plus pleine, une forte lumière se déplace rapidement juste de l’autre côté de la voie ferrée. On dirait qu’elle se met à courir pour me rattraper. Une voix en arabe s’élève fortement, puis passe en français. « Gendarmerie nationale, contrôle des passeports ! ». Patrice et moi pilons net. Patrice sort son passeport, que la maréchaussée prend en photo avec son téléphone. Quant à moi, je jette un coup d’œil à mon GPS pour avoir la distance du prochain CP. Je n’ai pas mon passeport sur moi, il est dans la voiture, à 2km 350m, dans cette direction. L’explication suffit, et après quelques blagues, l’homme en uniforme me lâche les baskets.

Le lendemain, la journée cette fois, c’est un 4x4 de l’armée qui fait un détour jusqu’à ma personne. Je n’ai toujours pas mon passeport sur moi. Mais ce n’est pas le sujet. C’est juste pour savoir si tout va bien.

 

Je longe quelques camps militaires dans le coin. Le Maroc est à une dizaine de km.

Une autre fois un véhicule de la ligne de chemin de fer me croise, là aussi pour s’assurer que tout va bien.

S’il n’y a pas de chameau dans ce désert, il y a des gens qui s’inquiètent pour moi.

Mon moment préféré est le lever du jour, la lueur orangée surgit doucement dans mon dos. Les couleurs du ciel et du sable sont magnifiques, et la température très agréable.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Les muqueuses n’apprécient pas le désert, les miennes résistent bien pour l’instant. Je tartine mes lèvres de beurre de cacao en journée. Je mouche beaucoup de sang. Heureusement j’ai prévu un gros stock de mouchoirs XXL fabrication maison. Et tous les soirs je me rince les naseaux avec du sérum physiologique. Ca dégage bien, sinon je ronflerais à gogo.

Les mains gonflent tous les après-midi avec la chaleur. Heureusement elles dégonflent sans problème la nuit.

Si je ne vois jamais Ismaël la nuit, enfoui dehors sous sa grosse couverture sur son lit picot, Bolé fait beaucoup de progrès. Maintenant il m’accueille, le repas est préparé, même si le menu est peu varié : différentes pâtes et des légumes, avec deux fois du poulet si on est près d’un village ravitailleur. Je complète avec les sardines et les dattes, omniprésentes. Il remplit ma poche à eau dès que j’arrive et l’eau chaude est toujours prête pour le thé. Il se lève spontanément pour le départ au milieu de la nuit, me servant le thé et le pain chaud.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Mais ce matin, vers 10h, pas de CP en vue au point GPS requis. Le 4x4 déboule en trombe dans mon dos. Patrice en rigole, pas moi. Je n’aurai pas aimés poireauter en plein cagnard parce qu’Ismaël ne s’est pas levé. Ca lui a servi de leçon, car par la suite il fera systématiquement le trajet entre les CP dès que je suis partie.

Au CP47, ma tendinite au releveur se réveille légèrement. Elle ne me gêne pas. Je prends néanmoins un antiinflammatoire le lendemain, le seul médicament que j’aurai avalé sur tout le parcours.

Je suis au CP49, le 1000° km est atteint. il reste moins de 10 CP, ça sent la fin et le dernier changement de chaussettes.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Ce midi je prends ma demi-heure de sieste à l’ombre de la voiture. Je sens quelque chose sur ma jambe. Un gros insecte ? J’ouvre les yeux et je découvre… un tout petit oiseau posé sur mon collant. Je vois régulièrement ce piaf, mais celui-ci est particulièrement familier. Je n’ose pas bouger, lui non plus.

A tous les CP j’enlève systématiquement les chaussures, cela détend les pieds, mais pas forcément les chaussettes. Je les masse toujours soigneusement.

Ma faim est grandissante au fil des km. J’engloutis désormais des portions doubles de celles du début de course. Pour mes ravitaillements personnels, j’ai prévu. Par contre je dois rallonger les lyophilisés qui sont censés faire un repas normal, et hop, de la semoule en rab dans le couscous.

Toutes les nuits en me réveillant, je suis incapable de me souvenir si le train est passé, tout en ayant la sensation de l’avoir entendu. Bien sûr il est passé, et même des fois juste au moment où je m’assoupis. A chaque réveil, c’est la première question que je pose et la réponse est immuable. C’est l’accumulation du manque de sommeil qui fait son effet.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

De même une fois, allongée sous ma petite couverture, je réclame qu’on ferme la tente. Elle est fermée, mais j’ai l’impression qu’il n’y a pas de toile de mon côté et que je dors dehors. Quand le train passe, je crois être couchée à l’extérieur juste à côté des rails et qu’il est à 1m de moi, tout ça sans pouvoir ouvrir les yeux. L’effet est saisissant.

Néanmoins, comme c’est moi qui donne le signal du lever dans la chambrée, j’ai toujours entendu sonner ma montre. Je ne suis donc pas trop épuisée. Patrice ne la perçoit jamais.

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Il a maintenant moins mal aux pieds et retrouve du poil de la bête. Si les démarrages sont toujours laborieux, le rythme est plus soutenu après.

A ma grande surprise, la monotonie de cette longue partie passe bien. Il est vrai que je n’ai pas à me plaindre. Je n’ai aucun problème physique, je ne ressens pas de manque de sommeil, je n’ai qu’à marcher, ce qui n’est pas spécialement difficile. Même les CP de nuit que j’appréhende normalement sont aisés.

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La dernière nuitée s’annonce au CP52. Alain me croise peu après. Il veut m’avancer en voiture d’un CP, il le fait pour tous. Il a l’air d’avoir hâte d’en finir, bien plus que moi. Il me dépose au CP53. Comme d’habitude le trajet en voiture est pénible pour la voûte plantaire qui se met à brûler.

Je progresse désormais entre la voie ferrée à ma droite et une grande route à ma gauche. Le sable est assez mou, avec de petites dunettes à franchir. Quelques maisons endormies jalonnent mon chemin.

Côté route, des lumières rouges apparaissent. C’est une usine de traitement de minerai de fer. D’ailleurs une sirène retentit dans la nuit.

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D’un commun accord avec Patrice, l’arrêt au CP54 est écourté. Nous n’avons pas besoin de dormir 4 heures pour terminer sereinement.

La tente est juste à côté de la route, qui est très proche de la voie. Je propose de marcher désormais sur le bitume, beaucoup moins pénible physiquement que dans le sable. De plus à cette heure, il n’y a pas de circulation.

Le jour se lève, le dernier. Soudain apparaît sur la gauche une belle étendue bleue entre quelques petites dunes. La mer !

Nouadhibou est située au bout d’une péninsule parallèle à la côte principale et je chemine côté intérieur. La surface de l’eau s’avère donc très calme. Elle ressemble à un beau lac immense coincé par des ondulations sableuses.

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Après le CP55 et l’heure s’avançant, la circulation augmente. Le trajet sur la route se révèle loin d’être bucolique. Les bas-côtés sont jonchés de carcasses de pneus déchiquetés. Je me dis que si un pneu éclate à côté de moi au passage d’un camion, je meurs.

A chaque venue de véhicule, dans un sens ou dans l’autre, je me précipite rapidement sur le bas-côté, dans le sable. En effet, ils sont nombreux sans âge, dans une forme très vétuste, ou lourdement surchargés. Je tiens à la vie.

Un piéton vient faire la causette. Je vais où ? A Nouadhibou, à pied. Rien ne les étonne. Plus loin un ânier mène son âne au puits.

Dès qu’on s’approche des zones habitées, je trouve beaucoup de déchets étalés par terre, surtout des bouteilles d’eau en plastique.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Le CP56 est proche de quelques maisons. Je ne m’y attarde pas. Je reprends la route sous la chaleur de fin de matinée pour le CP57, le dernier. Mais Alain a déplacé l’arrivée, et je dois suivre le 4x4 pour atterrir à une auberge. Ce qui représente une fin bien morose : de la route, et derrière une voiture, tout ce que je n’aime pas.

Heureusement l’emplacement du repos attendu est sur la plage, ce qui compense les contraintes.

Je dois évidemment me plier aux traditionnelles photos d’arrivée, au lieu de pouvoir enlever définitivement mes chaussures le plus vite possible. Car les quatre choses que je souhaite faire dans un ordre d’urgence sont : enlever mes chaussures, prendre une douche, manger, et dormir.

Il est 14h le 16 novembre, j’ai mis 16 jours pour faire 1200km. Je suis 2° avec Patrice, si tant est qu’un classement puisse encore vouloir signifier quelque chose après toutes les péripéties de cette course. Marco est arrivé depuis longtemps, 4 jours plus tôt.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Bolé a pris en main le restaurant de l’auberge et m’a préparé un bon vrai repas appréciable. Je prends possession de ma tente, et je requiers la douche. En effet, l’utilisation de la pompe à eau du puits se fait sur commande.

A noter que je n’ai pas perdu de poids, ce qui est parfait.

Comme je suis en excellente forme et que mes petons sont intacts, je peux profiter pleinement de la baignade dans cette mer d’huile et de balades sur la plage. Il y a plein d’oiseaux marins et limicoles migrateurs venus d’Europe passer l’hiver au chaud. Je ne les connais pas, mais je m’en mets plein les yeux. Je rends visite à la petite colonie de flamants roses installée dans l’anse voisine.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Les autres coureurs arrivent petit à petit, Takao dans la nuit, puis Brigit le lendemain, suivie de Benoît et Eric. Jacques ferme la marche 2 jours après moi. Deux coureurs manquent à l’appel.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

J’abandonne la tente et j’émigre dans une chambre de l’auberge, que je partage avec une petite souris.

A la question de ce qu’on désirait le plus pendant la course, tout le monde a rêvé d’un bon repas, sauf moi. C’est une baignade en mer à laquelle je pensais pendant les heures brûlantes d’après-midi le long de la voie ferrée.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Après le repas de fin de course, nous prenons la route pour Nouakchott. J’y profite d’une journée de tourisme, visite du marché, baignade en mer côté atlantique cette fois, avec de puissantes vagues, tour au port de pêche. Les centaines de longues barques en bois toutes peintes de couleurs vives déchargent le poisson à la main, directement sur la plage. Il est amené sur la tête des pêcheurs directement à l’usine de fabrication de farine, pour exportation en Europe. C’est impressionnant. Parallèlement l’état mauritanien autorise la population à se pourvoir en poisson gratuitement.

Balade mauritanienne de 1200 km, novembre 2022

Puis c’est le retour à Paris, et à la Réunion pour moi.

Comme d’habitude après une longue course de ce type, mes pieds de jeune fille vont peler intégralement.

Au final, cette édition ne me laissera pas un souvenir impérissable. Côté technique j’adopte définitivement les chaussettes en Mérinos et les biscuits pour dénutris.

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