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7 septembre 2006 4 07 /09 /septembre /2006 20:35

L’UTMB  2006 vu par Sébastien (Dossard 1381)

 

 

 ·        Lundi 21 Août, 17h00

 Après une arrivée sur Lyon avant-hier matin, nous voilà maintenant dans le ravissant village de Saint Gervais. Installés dans un superbe chalet face au Mont Blanc, le temps est à la récupération : sieste dans un confortable lit afin d’éliminer les traces d’un trajet pourtant fort agréable. Réveil en douceur, chocolat chaud puis promenade près du Grattague (lotissement où le chalet est situé). Le Mont Blanc en ligne de mire avec un temps magnifique, c’est du BONHEUR à l’état pur…. Composition du groupe : Cécile, ses parents, Steph et moi-même.   

 ·       Mercredi 23 Août, 12h30

 Hier après-midi, moments retrouvailles avec l’arrivée de Yan, ses parents et Thierry. Beaucoup de plaisir de voir se reformer l’équipe A2R pour l’UTMB. Après s’être installés, nos nouveaux hôtes s’accordent une sieste réparatrice. Pour notre part, nous nous précipitons vers Quechua afin de compléter nos équipements. Ce matin, et au grand complet, nous envahissons « le vieux campeur » de Sallanches ; un véritable paradis terrestre… sauf pour nos portes monnaies ! qu’importe, nous sommes désormais parés pour affronter les températures extrêmes annoncées par les plus optimistes...

 ·       Jeudi 24 Août, 11h30

 Matinée studieuse où chacun s’affaire à sa stratégie des ravitaillements. Quelques infos :

 - Thierry : 25 barres, 27 BCAA, 12,5 l Hydrixir-Malto, 2 l Adep,

 

 - Yan et Seb : 25 barres, 27 BCAA, 12 l Hydrixir-Malto, 3,6 l Adep, 1,8 l 640,

 - Steph et Paul : rien ne filter, les infos ne circulent pas…

 Le temps est inquiétant : nuageux, orageux, pluvieux, merdiqueux… mais il vaut mieux que ça tombe aujourd’hui que demain, comme dirait l’autre ! on est tous fin prêt, ça va le faire, c’est sûr.

 ·       Vendredi 25 Août, 15h00

 Ça y est, le grand jour est arrivé ! depuis qu’on l’attendait ce maudit UTMB, plus d’une année à avoir cette course en tête, plus de 7 mois de savante préparation et cette dernière semaine en guise de ligne droite… le stress d’avant course, pas facile. Chacun se concentre à sa façon :

 - Paul et ses allers-retours jusqu’à la voiture à charger, décharger, recharger, redécharger, rerecharger… ses affaires de courses,

 - Steph le visage fermé et son balladeur Mp3 vissé derrière les oreilles… il intériorise dur !

 - Thierry, entre son téléphone portable, ses valises et ses idées… Et s’il nous refaisait le coup du Grand Raid où, surgit d’on ne sait où, il avait fait déjouer tous les pronostics en se classant 10ème,

 - Yan et sa boisson d’atttente, attend patiemment que ces maudites minutes s’égrainent. Lui, le fonceur, le rapide, le tueur, bien obligé de l’apprivoiser le temps,

 - Et puis moi, qui n’en finit plus d’écrire, d’aligner des mots, des phrases, des pages… sans trop savoir où ils me conduiront. La gamberge, de quoi sera fait demain ? Les ultras, rien ne se prévoit à l’avance, la course se joue et se déjoue, se dessine au gré des pépins, des « coups de mieux », des passages à vides, des euphories passagères. Qu’importe les galères, l’essentiel étant d’aller au bout, coûte que coûte, de repousser ses propres limites à la frontière du chaos en dépit des souffrances physiques, le plus souvent mentales.

 ·       Lundi 28 Août, 10h00

 Les dés sont définitivement jetés et le sort de la course est maintenant scellé ; rétrospectives… Nous voilà tous les 5 à Chamonix, il est environ 16h00, nous sommes prêts pour partir à la guère, car c’est bien de cela qu’il s’agit. La tension monte de plusieurs crans, les mots sont rares, les visages restent fermés. Nous sommes allongés sur le trottoir à profiter des derniers rayons de soleil… que l’on nous annonce rares. La peur du froid, de la pluie, de la neige… que nous réservent ces maudites montagnes ? Les minutes passent, nous décidons de nous rapprocher de la ligne de départ, un miracle se produit, une brèche s’ouvre nous permettant de nous retrouver en « pôle position » aux côtés des Chaigneau, Dellebarre, Olmo et autres Jacquerot. Les favoris réunionnais sont également présents : Ouledi, Técher, Fontaine. On savoure… Dans le groupe A2R, ça respire la concentration : steph et Thierry assis par terre réfléchissent… Yan et moi sommes debout « buvant » chaque paroles et conseils prodigués par les organisateurs. Paul, légèrement en retrait, semble songeur… sans doute s’interroge-t-il sur sa capacité à aller au bout dans les quelques 45h imparties. La musique d’ambiance est de mise, il en reste plus qu’à attendre que l’hélicoptère se mette en place, le départ est donné « en live » sur FR3.

 Km 0 - Ligne de départ

 5…4…3…2…1, top départ. 2 500 trailers tous mieux préparés les uns que les autres s’élancent à l’assaut des 158,5 Kms de chemins, sentiers, routes et autres pièges naturels. Le tempo est donné, la traversée de Chamonix s’effectue à vitesse V. Sans doute sommes nous tous sensibles aux milliers d’encouragements lancés par une foule en délire – séquence frisson… Descente sur les Ouches puis remontée vers la première difficulté du jour : le col de Voza. Là, le train se durcit, des dizaines de concurrents nous doublent, impressionnants d’aisance et de facilité avec leurs bâtons de « sept lieux »… Thierry est parti plus vite, il pointe dans les 50 premiers, Steph et Paul beaucoup plus prudemment. Les chemins sont larges, « roulants », nous avons du mal à prendre le bon rythme avec Yan. Karine HERRY nous passe, tranquillement, difficile de penser qu’elle bouclera le parcours en moins de 25h écrasant la concurrence féminine.

 Kms 25 – Les Contamines

 Arrivée sur les Contamines (km25) en 2h45 environ. L’ambiance est fabuleuse, nous sommes envahis par une foule en délire. Un couloir humain se forme, les spectateurs saisissent nos mains, je m’imagine sur l’étape de l’Alpes d’Huez… Ravitaillement express en moins de 5 minutes ; les parents de Yan « assurent », eux qui découvrent pour la première fois « l’esprit des Ultrafondus » ; pas déçus je pense… Nous repartons d’un pas ferme et décidé à l’assaut du col de Bonhomme. Yan grimace, se tient le genou et finit par « boîter bas ». Son maudit genou droit se réveille et le rappelle à la dure réalité : on ne badine pas avec les tendinites. L’effort à porter est trop rude, mon « dalon » adoré jette l’éponge, la mort dans l’âme. Je me retrouve donc seul, orphelin de celui avec qui je partage tant. Je poursuis la course en essayant de faire le vide. Montée vers la croix du Bonhomme, c’est dur. Je ne me sens pas au mieux, mon estomac fait des siennes, il n’encaisse plus les gorgées d’Hydrixir que je lui inflige. Ecoeurement, nausées, maux de ventre, je suis en panne de carburant. Mon énergie est restée aux Contamines avec mon Yan préféré… l’heure doit être à la « gamberge », lui qui partage l’objectif UTMB depuis des mois, lui qui a passé tant d’heures d’entraînements assidus et acharnés pour un seul but : finir en 27 h ce long périple. Je grimpe, je m’accroche, « j’y vais au courage » mais les jambes sont lourdes, cotonneuses. Je prends un gel « coup de fouet » mais rien ne va, envie de vomir. Je vois en point de mire le prochain ravitaillement, je sais que la forme va revenir, forcément, c’est comme ça les ultras, ça va, ça vient. Je m’assois, le froid me transperce ;  je vide mon camel back, le rince abondamment… hors de ma vue cette maudite poudre qui m’insupporte. Une valeur sûre, de l’eau claire des montagnes, de l’Adep dans le bidon et du solide : fromage, pain, saucisson, tout est bon à prendre. Je repars à l’ascension de ce maudit col du Bonhomme, comme je peux. C’est un vrai calvaire, je pense à abandonner à plusieurs reprises, tout s’effondre. Il est 23h, minuit, je ne sais plus. Les coureurs me doublent, les uns après les autres, je suis au plus mal. Où en sont mes compères ? Je l’ignore, j’apprendrai plus tard que Thierry connaît le même début de course que moi, Steph et Paul sont partis un peu « en dedans », ils assurent bien les bougres, ce sont nos valeurs sûres.

 Kms 39 – Col du Bonhomme

 Je poursuis mais cela reste laborieux. J’atteins la croix du Bonhomme, m’alimente, ça a l’air d’aller un peu mieux malgré le froid. La montée continue jusqu’au col, je gère tant bien que mal. Je bascule dans la nuit noire et entame la descente ; la course change de physionomie, j’ai repris des forces et surtout, je me retrouve sur mon terrain : une descente raide, technique, sinueuse. J’ai de bonnes sensations, cours de plus en plus vite, de plus en plus haut… Aucun virage ne me résiste, je m’envole vers les Chapieux, rattrapant un à un les concurrents hésitants.

 Kms 44 – Les Chapieux

 Arrivé regonflé sur les Chapieux, j’observe avec tristesse le bus ramenant les premières victimes de ce départ canon. Ma pause est de courte durée, cinq minutes maximum. Je peste intérieurement contre un gentil bénévole qui remplit davantage mon tee shirt d’eau glacée que mon camel back ! qu’importe, le moral est revenu, je repars à l’assaut du col de la Seigne avec une envie dévorante. Longue route, faux plat montant, des trailers me doublent en petites foulées. Je marche et préfère m’économiser n’ayant aucun repère, pas facile. Je gravite le col à partir d’un petit chemin qui serpente tranquillement. L’effort est progressif, je me retourne subitement et admire la longue traînée lumineuse laissée par les milliers de coureurs, c’est superbe. L’ascension s’effectue gentiment, à mon rythme, je gère. Le sommet est tout proche, j’en suis étonné.

 Kms 54 – Col de la Seigne

 L’Italie nous tend maintenant les bras, je vais enfin prendre ma revanche sur Materrazzi… J’emprunte un long chemin en faux plat, petites foulées, tout va bien. Un savoyard m’adresse la parole et me donne quelques précieuses indications sur le parcours. Il m’explique que son objectif est de passer sous les 30 heures. « c’est bien, on est plus vite que l’an passé. J’avais bouclé en 32 heures ».  Je m’inquiète un peu, moi qui vise les 27 heures mais me remémore la galère du début de course, mon chemin de croix… Remontée difficile pendant ¾ d’heure, j’en bave, décidemment ce début de course est difficile. Pas les jambes, pas le jus mais l’envie est bien là et c’est l’essentiel. Nouveau ravitaillement au sommet avant de redescendre sur Courmayeur. J’intègre un groupe d’une dizaine de personnes, quelques mots, des encouragements puis la frayeur : aucun balisage, plus de repère, nous nous sommes égarés. Par chance, deux ou trois gars connaissent « par cœur » ces montagnes transalpines et nous replacent sur le droit chemin. Nous galopons vers Courmayeur, tout va bien. Je rencontre Fabrice PIGNOLET, un des costauds du Grand Raid , qui semble meurtri par une douleur au genou, l’abandon le guette. L’imposante descente vers le village italien démarre, en trombe. Le dénivelé est important, il faut penser à s’économiser mais le terrain est souple. Je choisis de « lâcher les chevaux », tout ce qui est pris n’est plus à prendre… Rien à voir avec la descente du Coteau Kervéguen.

 Kms 72 – Courmayeur

 Arrivée à Courmayeur au petit jour, traversée du village qui s’éveille, il n’est guère plus de 6h. Le premier camp de vie est atteint, pas de bobos, tous les voyants « sont au vert ». Mes supporters préférés sont bien au rendez vous : Yann, ses parents, Cécile, sa maman, Geneviève et Guerric. J’entrevois les parents de Thierry, inquiets de ne pas l’avoir encore vu passer. J’apprendrai plus tard qu’un gros souci d’alimentation lui aura « coupé » les jambes. Temps disponible, 15 minutes, pas une de plus. Je croise des dizaines de coureurs, les uns allongés sur les tables de massage, d’autres rassemblés à la cantine, certains prostrés dans les couloirs. C’est sûr, pour ceux là, l’UTMB va devenir cauchemardesque. Je me change, m’enduit les pieds de Nok, essaie d’avaler quelques pâtes et ré-approvisionne mon camel back. Yann m’assiste, vite et bien, montre en main, mon temps est déjà épuisé. Guère plus d’un quart d’heure, après quelques étirements, je reprends la route. J ’emboîte le pas de 5 à 6 coureurs, l’un d’entre eux demande assistance : « je n’y vois plus rien depuis 10 kms, je distingue tout juste les formes ». Je le guide. En discutant avec lui, j’apprends qu’il s’agit du champion PACA, pointant 10ème au scratch à Courmayeur. Décidément, personne n’est à l’abri des défaillances, même et peut être surtout les plus grands.

 Kms 77 – Bertone

 J’attaque une nouvelle difficulté, la montée vers Bertone. Le rythme est modéré mais comme on dit par ici, qui va piano… je me renseigne autour de moi, le grand col Ferret fait peur. « si tu le franchis, tu rentres à la maison » me souffle un coureur à l’accent chantant du Sud. Rassurant, pourtant mes sensations sont encore moyennes. Depuis le départ, hier soir, je me sens diminué, emprunté. C’est pas une super journée mais il faut faire avec. S’accrocher, ne pas gamberger, vider son esprit de pensées négatives et attendre que le vent tourne. Bertone est franchi sans trop d’encombres, j’emprunte alors un sentier en balcon long d’une dizaine de kms. Ça monte, ça descend, faut des jambes pour relancer. Un coureur m’emboîte le pas et lance la conversation : « tu l’as déjà fait ? » - « Non, c’est mon premier, et toi ? ». Mais pour lui, habitué davantage aux courtes distances, c’est son premier ultra. On fait route ensemble, prenant les relais l’un après l’autre. Quel bonheur d’avoir trouver un dalon de course. On aperçoit après de longues minutes Arnuva dans le fond de la vallée. « Tu crois qu’ils vont nous faire descendre ? » - « non, c’est impossible »… et pourtant ! Le temps est magnifique, il doit être 10h du matin ; face à nous s’étendent d’immenses glaciers tous plus beaux les uns que les autres. Ils semblent s’accrocher à la montagne, trouvant leur source aux nombreux sommets découpés dans un ciel bleu azur. On oublie nos soucis… c’est le pied ! Une anglaise profite pour nous passer, qu’importe, l’essentiel est ailleurs. De toute façon, je ne parviens pas à prendre son rythme. Les relances font mal, je préfère gérer. Ça a l’air d’aller beaucoup mieux mais je reste méfiant, la route est encore longue. On descend, tout se passe bien, là aussi, prudence pour conserver « du jus » avant le grand col Ferret.

 Kms 93 – Grand Col Ferret

 Quelques morceaux de fromage, un verre de coca et nous voilà propulsés au pied de « l’Alpes d’Huez » de l’UTMB. 5 coureurs prennent mon rythme, on démarre lentement, le pourcentage de pente est impressionnant. On gère, ça se passe bien. Je reconnais parmi mes « amis trailers », Yan, pas le mien, celui de Stéphane, d’Endurance Shop. Il nous prodigue quelques conseils, lui l’habitué de la course, et nous distance de quelques mètres. Moi, je conserve la tête du groupe en prenant garde à bien m’alimenter. Jean Claude, mon allié depuis Courmayeur, est juste derrière, son pas est juste et efficace, il garde le rythme. Le paysage est vraiment somptueux, c’est un véritable régal pour les yeux. Je lève la tête, le sommet est proche, encore quelques hectomètres d’efforts. Nous dépassons un coureur en détresse, s’arc boutant sur ses bâtons, poussant de plus en plus sur ses jambes mais avançant de moins en moins vite… 2 ou 3 trailers sont couchés dans l’herbe, attendant des moments meilleurs. De gros dégâts comme beaucoup le craignaient. Nous parvenons au sommet en un peu plus d’une heure, je prends quelques minutes pour m’hydrater, avaler un peu de sel et enduire mon entre jambes de pommade, les premières irritations se font sentir. Jean Claude  démarre la descente en tête, il a des jambes le bougre ! Je le suis sans me poser de questions, nous entamons les 22 kms de portion roulante pour rejoindre Champex en Suisse. Nous avons mis un turbo dans le moteur, les enjambées sont de plus en plus grandes, aériennes, souples, on doit facilement faire du 13-14 kms/h. C’est un véritable plaisir de se sentir aussi bien. Nous rattrapons les concurrents les uns après les autres, c’est jouissif, surtout lorsque le début de course fut aussi poussif. Le moral remonte et la discussion s’anime. On échange nos souvenirs, nos expériences de course, nos passés sportifs, tiens footballeur, comme moi. Je lui donne quelques impressions et conseils de vieux briscard des ultras que je deviens. Faut dire qu’après 6 Grand Raid , 1 Marathon des sables et 1 Anosy, j’en connais maintenant un « rayon ».  Mes propos vont plus vite que mes idées, les endorphines commandent depuis bien longtemps ma pensée. Peu avant d’attaquer la bosse située au bas de Champex Lac, nous empruntons une portion bitumée. Notre fameuse anglaise marche, dépitée, elle semble souffrir de quelque chose. Je me risque : « How are you ? ».  « Hwx do what xyl ajbwjek », je laisse tomber. Nous la passons au ravitaillement et croisons un homme, la soixantaine, assis, épuisé, semblant rechercher un quinzième souffle. Jean Claude est bien, sa foulée régulière, son envie intacte. Nous ignorons toujours notre classement, l’important pour nous, c’est le chrono. La volonté de se battre contre soi même. Il faut toujours très beau, c’est un vrai plaisir.Nous sommes maintenant au pied du village de Champex, le dénivelé remonte et les jambes commencer à sérieusement « tirer ». Nous continuons à bien gérer l’effort, s’étant mutuellement promis un arrêt réparateur au prochain camp de vie et un massage d’une dizaine de minutes. D’ici, ça fait envie…  Mon genou gauche donne des signes de fatigue, je grimace. Je pense à mes enfants, là, au milieu de nulle part. Eux qui doivent suivre mes traces depuis internet à La Réunion. Avec le décalage, à l’heure qu’il est, ils doivent goûter, sur la terrasse. Je pense de nouveau à autre chose. Mon dalon d’adoption me propose une paire de bâton de ski pour le prochain arrêt. J’accepte, son épouse est informée : « Maïté, récupère les bâtons du gosse… non je t’expliquerai…oui, ça va, à tout de suite ». Fin de la conversation, 12 secondes et 28 millièmes… C’est du concentré. Elle affûte les pointes…

 Kms 117 – Champex Lac

 Arrivée à Champex Lac après 117 kms et des brouettes. Je retrouve mon fidèle compère, Yann, prêt à bondir et à m’assister, ce qu’il fait avec brio. Ses parents se reposent dans le camping car. Je lui abandonne mes affaires et me dirige avec  calme vers les masseurs (merci Cécile, je m’égare). Jean Claude s’allonge sur la table d’à côté, la mine réjouie. On les a bien mérité ces minutes de repos. On se laisse aller, fermons les yeux, faisons le vide. Les kinés se veulent rassurants, pas de points de contracture, la machine est en bon état. Ouf ! c’est déjà ça. Je mange une soupe, quelques pâtes et me remets en route. Jean Claude est en difficulté, il ne repartira qu’une heure après, c’est un second coup dur. Faut croire que je porte la poisse, le prochain qui marche à mes côtés, je l’achève de suite, on gagnera du temps !

Kms 126 – Bovine

 

Mes bâtons en main, je contourne le lac et me dirige vers un long chemin en légère descente, prêt à en découdre avec Bovine. Rapidement, je me rends compte que mes bâtons m’encombrent, pire, ils ralentissent mon allure… Je pense à plusieurs reprises à m’en séparer : « Jean Claude, 3 coureurs venus de je ne sais où m’ont frappé et dépouillé »… non, pas crédible… « tu sais, j’ai rencontré un pauvre bougre en perdition, j’ai eû pitié de lui »… ouais, pas terrible. J’abandonne, pas les bâtons, mon stratagème. Je m’engueule à haute voix «  tu les a voulu, tu assumes ! ». La montagne raisonne, faut que je me calme, j’ai besoin de toute mon énergie d’autant plus que l’ascension de Bovine ressemble étrangement aux sentiers réunionnais. Je suis dans mon élément, faut en profiter. Pourtant, les vieux démons se réveillent, je n’avance plus, restant cloué aux rochers. Nouvelles idées noires : « je rejoins Trient et je lâche le morceau. De toute façon, rien ne va aujourd’hui. Guerric et Geneviève me ramèneront bien à la maison, « au chaud ». C’est mon premier UTMB, je le terminerai bien la prochaine fois ». Je gamberge mais m’accroche. Je fais quelques pauses et m’alimente. Un Allemand puis un Suisse et enfin un Italien me laissent sur place, c’est encore plus dur, on devrait pouvoir dire « pouce » quand on explose… Je croise le chemin de vacanciers qui m’encouragent et me conseillent de repérer les bons raccourcis, « si tu crois que je vais m’enquiller les raidillons, tu vois pas la tronche que j’ai ! ». Le temps vire brutalement, les premières gouttes tombent, c’est un signe. Cela va devenir apocaliptique, j’en suis sûr. J’essaie de me calmer, la végétation se fait rare, le sommet est donc proche. Ça y est, un replat, enfin du répit, je respire, m’alimente de nouveau et me couvre. Mon MP est de mise, la pluie redouble. J’attaque la descente en retrouvant mes repères, ça glisse, c’est escarpé, c’est dangereux bref c’est la Réunion. Je reprends mes adversaires un à un, dans l’ordre inverse, l’Italien, le Suisse, l’Allemand…

 

Kms 132 – Trient

 

J’arrive à Trient en ayant une patate du tonnerre et donc la grosse banane ! Petite inquiétude : l’absence de mes 2 ravitailleurs, je recharge mon camel back, prend une soupe, pommade mon entre jambes et repars avec la ferme intention d’en finir au plus vite, avant les 27 h que j’ai promis à Yann. Dans l’ascension des Steppes, j’ai un vrai turbo dans le moteur, ça carbure sec ! le « Red Tonic » ingéré quelques minutes auparavant semble porter ses fruits, faut que je songe à mieux m’alimenter la prochaine fois… J’attaque tout en m’obligeant à en garder un peu sous le pied, faudra être performant dans la descente qu’on nous annonce périlleuse. Je dépasse un p’ti jeune, guère plus de 20 ans, il est mal. Je l’encourage et l’incite à passer le cap calmement. Ce sont des choses qui reviennent vite, à condition de garder son « sang froid ». Je parviens déjà au sommet, si seulement ma course avait pu être à l’image des 40 bornes que je viens de faire. Grosse fraîcheur, gros mental = Performance. Je commence la descente vers Vallorcine, je cours, je bondis,  je vole, me voilà métamorphosé en Dellebarre… Je fonds sur les coureurs de devant avec un moral de vainqueur.

 

Kms 142 – Vallorcine

 

J’atteins Vallorcine en quelques minutes, je m’impressionne. Pointage ultra rapide, je repars. Une poignée de trailers se réchauffent autour d’une soupe, « et pourquoi pas d’une tartiflette » me dis-je… pas le temps d’échanger nos adresses, j’ai mon recors de 27h à faire moi ! Je remets les gaz, plus que 15 kms m’annonce-t-on. Rapide calcul, à cette allure, j’en ai pour moins de 2 heures et il est … 20h15. Je tiens mes 27 h, Yann, je t’aurai vengé. La pluie s’acharne, je m’imagine à Takamaka face aux éléments qui se déchaînent. Légère montée, j’accélère le pas, j’y crois, mon recors est à « portée de main ». J’atteins Argentière en 3 petits quart d’heures, Cécile m’attend « de bisous fermes ». Je me jette dans ses bras mais déjà il faut repartir. Quelle frustation ! Je choisis de m’alléger, lui remets bidon, gels, barres, poudre et autres vêtements. Il est 21h20, il ne me reste que 8 kms et ma volonté d’arriver avant 22h est forte. Grosse pensée pour mon dalon, je vais le faire, mes 27 h sont à portée de poumons. Je sors du village, le rythme est impressionnant, 13-14 km/h, les passants m’encouragent, je dois vraiment avoir une tête de défoncé.

 

Kms 158 – Chamonix - Arrivée

 

J’emprunte un chemin en sous bois, l’allure se réduit, la visibilité avec. Je double un gars du coin, prends de ses nouvelles, tout a l’air d’aller. Sa vitesse est plus faible que la mienne, je fonce vers mon objectif horaire, le temps presse. Le terrain devient difficile, mes forces s’amenuisent. Le Savoyard que je viens de déposer me rattrape… J’ai l’air fin moi ! Je meuble : « c’est encore loin ? » - « ouais, une heure et demi environ ». Non, impossible, il me mène « en bateau ». J’insiste : « non, l’arrivée, on y est presque ? » - « le chemin est dangereux et il y a une grosse bosse plus loin, les meilleurs mettent une heure, c’est le temps qu’il me faut à l’entraînement ! ». Plus de doute possible, les organisateurs nous ont fait une « Colorado ». Je rumine et baisse les armes pour mon record de 27h. Yann va être déçu, pas autant que moi. Le moral en prend un coup mais c’est surtout mon taux de glycémie qui m’inquiète. Je me sens de plus en plus faible et pas moyen de me refaire, la fameuse bosse pointe son nez. Je grimpe, m’accroche, essaie de prendre le pas de mon acolyte, peine perdu. Ce sont même 2 nouveaux concurrents qui me passent en boulet de canon. Je repense à tous les moments difficiles de la course, à tous les entraînements galère, à tous les sacrifices consentis. IL FAUT TENIR. Je fouille mes poches, ma poudre d’ADEP fera l’affaire. Je m’y jette dessus, tel un « mort de faim ». N’ayant plus guère de force, je gère tant bien que mal. Je m’engueule à voix haute : « quel abruti tu fais, Seb. On t’avait pourtant dit de conserver une pochette survie ! ». On en apprend tous les jours, je croise un passant, « allez, plus qu’un quart d’heure, t’es bien » hurle-t-il. S’il savait… Je rassemble mes idées, mets en ordre mes mots et lui demande l’aumône. « quelques miettes de pain siouplé m’sieur ». Que nenni, nada, nietche, rien… que de l’eau pour unique monnaie d’échange. 15 petites minutes à serrer les dents, je regarde mes lacets, fais le vide et tente de forcer le pas. Le profil est redevenu descendant, j’aperçois une lueur au bout du tunnel…est-ce vraiment Chamonix ? oui, le doute n’est plus permis, du reste, un concurrent revient sur moi à vitesse V. Il me dépasse, j’hésite puis me lance : « J’ai un début d’hypo, tu aurais une barre à me donner STP ? ». Il ralentit, revient à ma hauteur et me tend un lingot d’or. « Ce powerbar te fera un bien fou ». Je reconnais la voix de mon bienfaiteur, et si c’était… JEAN CLAUDE. Mais oui, c’est bien sûr, mon ange gardien est de nouveau à mes côtés. Il est revenu comme une fusée et nous allons partager le plaisir, que dis-je, la joie, le bonheur, l’extase de traverser Chamonix ensemble et de franchir la ligne d’arrivée « main dans la main ». Il est à peine 23h, du monde partout. Ses 2 enfants l’acclament, lui emboîtent le pas. Son fils, âgé d’environ 4 ans, finit le parcours avec son héros de papa. J’aperçois Cécile, ma moitié, celle à qui je dois beaucoup, qui endure chaque jour mes contraintes, ma passion et qui s’est liée à la course d’ultra au moment où elle m’a pris dans ses bras… Guerric, mon ex boss adoré est là, lui aussi. Sa présence me fait tout de suite oublier le loupé de Trient, je suis aux anges. Je pense aussi beaucoup à Yann, meurtri d’avoir dû baisser pavillon, lui qui vit au rythme de l’UTMB depuis des mois. Son attitude fut exemplaire. De grandes choses nous attendent encore Yann, des ultras tous plus beaux les uns que les autres. Mes enfants, mes parents sont bien présents dans mes pensées. Enorme émotion lorsque je franchis cette ligne d’arrivée promise depuis près de 160 kms d’effort solitaire. Et pour la première fois depuis bien longtemps, malgré toutes ces souffrances, incertitudes, douleurs, je me lance, tel un défi : PROCHAIN OBJECTIF, LE GRAND RAID 2007 EN MOINS DE 24H…

Merci à tous les miens de m’avoir encourager vers la voie des ultraS…

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commentaires

T
Sans oublier ton excellent classement qui fait rêvé beaucoup de monde: 76ème/ 31ème SH et 28h01, j'en rêve encore.....
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R
Un grand merci à toi Seb pour nous faire partager ces moments forts. Ca fait sacrément envie ! <br /> éh moi aussi j\\\'ai fait le Tour du Mont Blanc ! à 12 ans en plus ! Bon ok en 6j...<br /> à dimanche
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T
Un grand bravo pour cette course l'ami et ce récit. Mi félicit a ou.
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